Marie RouanetBalades des jours ordinaires : Les choses de la vie
Livres

Marie RouanetBalades des jours ordinaires : Les choses de la vie

MARIE ROUANET défend une littérature des sens: elle n’en exclut pas pour autant l’importance du savoir et de la science. Dans Balades des jours ordinaires, l’écrivaine née dans le Sud-Ouest de la France évoque ces thèmes dans des récits de voyage particuliers.

Marie Rouanet a conquis le public avec son Petit traité romanesque de cuisine, paru il y a une dizaine d’années, qui s’inspirait de la culture occitane, la sienne, puisqu’elle est née à Béziers, dans le Sud-Ouest de la France. Elle publiait tout récemment Balades des jours ordinaires, un recueil de nouvelles qui porte très bien son titre. Car Marie Rouannet aime les gens et la vie ordinaire, qui, à ses yeux et sous sa plume, n’ont rien de banal.
Elle ne doit pas être la seule puisque bien des lecteurs se sont entichés de cette littérature du quotidien, de la vie simple, intime et spirituelle, des petits plaisirs de tous les jours (qui sont souvent les plus grands), comme en témoignent les succès de Christian Bobin, ou de Philippe Delerm, avec sa Première Gorgée de bière, écrivains dont les livres font le bonheur des libraires montréalais.

Menus du jour
Selon Marie Rouanet, qui était de passage chez nous la semaine dernière, le public a envie de lire ce genre de littérature. «Les gens, en général, aiment se rappeler leur enfance; et ils aiment manger… Pour une fois, on leur dit que c’est chouette, que ça peut même être une grande chose.»

Pour l’écrivaine, la popularité de cette littérature de l’art de vivre qui rend hommage au quotidien n’est pourtant pas nouvelle. «On a eu un grand mouvement de récits de vie et de biographies, au début du siècle, où l’on mettait en vedette des gens ordinaires; prenez déjà Une vie, de Maupassant ou La Vie d’un simple… En fait, lire ces histoires, que ce soit hier ou aujourd’hui, donne du romanesque à notre quotidien. Bien sûr, la littérature peut aussi parler de grands rêves que les gens portent en eux, mais on a également envie de savoir ce qui unit chacun de nous: de quoi sont faites nos vies de tous les jours, par exemple.»

Selon la romancière, si l’institution littéraire a longtemps tenu cette littérature à l’écart, c’était par pudeur, par supériorité..«On considérait que c’était trivial. On savait que c’était important, parce que les choses de la vie quotidienne sont celles autour desquelles s’organisent les sociétés, mais on pensait que c’étaient des choses dont on ne parlait pas. Et puis souvent, on méprise les sujets qui sont trop proches des fonctions corporelles. Or, la vraie vie est pétrie de choses apparemment triviales, mais comportent aussi à mon avis de grands sentiments. Je crois que ce qui l’emporte, c’est le mélange des nécessités du corps et des aspirations du cour et de l’esprit. On trouvera cette tendance dans n’importe quel milieu, n’importe quelle classe.»

Partir, revenir
Outre le thème de la nourriture, présent dans les autres ouvrages de Marie Rouanet, c’est le voyage qui, dans Balades des jours ordinaires, sollicite les sens, l’ouverture aux autres, à la différence. Dans ces dix-huit brefs récits, les rencontres sont parfois hilarantes, étonnantes, insolites; tout, sauf banales. On y découvre entre autres les jours de foire dans les campagnes, des brebis déguisées en danseuses des Folies-Bergères (Les Vraies Folies-Bergères), le plaisir du vin (Le Pays rose du vin noir), la culture des tomates modernisée (Circuit rouge en Lot-et-Garonne): le tout à travers la finesse d’esprit de l’observatrice qui commente, mais qui entre de plus à l’intérieur d’elle-même pour trouver des réponses.

Si on est loin des romans de Stevenson, il s’agit encore de la découverte de soi, du mouvement vers l’autre. «La littérature de voyage m’inspire, certes, mais de façon assez contradictoire, explique Marie Rouanet. Je vous donne un exemple: je finis un livre sur le Japon; or, ce qui me frappe le plus dans cet ouvrage, ce n’est pas l’étrangeté que j’y vois, c’est la proximité… Si j’enlève les mots "pittoresques", je tombe sur des choses que j’ai l’impression de connaître. Souvent, le très lointain me renvoie par opposition à la sensation que le monde est autour de moi, et que si je ne sais pas m’en saisir, c’est de ma faute. Bien que l’on soit dans des lieux différents, en présence de peuples différents, les démarches humaines sont très semblables: qu’il s’agisse de la mort, des divinités, même de la table. Ce n’est pas parce que le moyen ou l’ingrédient changent que la façon d’aborder la nourriture va changer. Les populations autochtones avaient le génie de tout utiliser dans un produit, comme la cuisine paysanne de chez moi. Je trouve ces savoirs dans n’importe quelle cuisine, même très différente de la mienne. Vous savez, quand je voyage, ce n’est pas avec un sourire béat: voyager, ça sert à penser, et ça peut se passer près de chez soi. Pas besoin de prendre l’avion.»

Savoir est pouvoir
Marie Rouanet, ex-prof de français, a beau aimer la littérature des sens, elle n’en a pas moins un amour du savoir, comme en témoigne d’ailleurs ce petit livre,L’Infini de «pi», qu’elle publie également ces jours-ci, et qui rend hommage à la connaissance. Rouanet adore les langages spécialisés, comme celui de la tauromachie ou de l’entomologie, et connaît la littérature occitane sur le bout des doigts. «Je suis pétrie de cette littérature, à commencer par celle de Frédéric Mistral, confie l’écrivaine. Je suis nourrie de tout ça, mais pas seulement par les sens, par les savoirs aussi: qu’il s’agisse des techniques, des habitudes, des traditions, des histoires que l’on se raconte, ou de choses plus scientifiques comme la langue et la littérature. Pour moi, tout ça se vaut»

Tout comme on voudrait cataloguer Rouanet du côté des sens seulement, on la classe souvent du côté de la nostalgie. «Je me méfie beaucoup de ça, dit-elle en levant la main comme si elle prêtait serment. Les gens s’extasient sur le bon pain chaud des temps anciens: ils oublient de dire que les paysans mangeaient du pain frais seulement une fois par mois… Tout ce qu’on qualifie d’"appartenir au bon vieux temps", c’était payé d’une infinie misère, d’une grande monotonie. Quand je vois aujourd’hui les laboureurs avec des tracteurs modernes et climatisés, je me dis qu’au moins ils ne souffriront pas comme leurs ancêtres derrière leurs charrues. Moi je dis: "vive la machine"; je dis: "vive la météo" qui vous dit qu’il va pleuvoir demain au lieu de regarder si les abeilles volent haut ou bas, ou toutes ces choses qui ne tiennent pas debout…»

Balades des jours ordinaires
Éd. Payot, 1999, 189 p.

L’Infini de «pi»
Éd. Micro-Climats, 1999, 76 p.