Nadine Bismuth : Les gens fidèles ne font pas les nouvelles
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Nadine Bismuth : Les gens fidèles ne font pas les nouvelles

Elle est très fine observatrice, cette jeune étudiante que l’auteur et professeur Yvon Rivard (à qui elle dédie, entre autres, son premier recueil) semble avoir prise sous son aile, on peut comprendre pourquoi. Elle paraît avoir ce talent que Gabrielle Roy appelait le don de vue, l’art de trouver, à travers le gris de l’ordinaire, le petit grain qui brille et qui deviendra matière à écriture. Les personnages de Nadine Bismuth nous sont familiers. Ils viennent du «vrai monde», ressemblent à nos amis, nos voisines, notre mère. Les histoires des Gens fidèles ne font pas les nouvelles ont l’air d’histoires vécues, tirées d’un quotidien proche, nourries de ces petites blessures banales qui semblent sans conséquences, mais qui, au fond du cour, font de vilaines marques.

Elle n’a que vingt-trois ans, Nadine Bismuth, mais elle a du talent à revendre. Autour du thème, large, de l’infidélité et de la jalousie, Les gens fidèles ne font pas les nouvelles raconte bien plus que des histoires d’amours brisées. On y parle de nos travers et de nos faiblesses, de ces mensonges que l’on improvise pour sauver notre peau (Un secret bien gardé) ou celle d’une personne qu’on aime (La Demoiselle d’honneur), de ces désirs de vengeance enfantins auxquels on a tous un jour rêvé de céder (Une patate chaude comme mon cour), des inévitables désillusions (La Tradition), et du goût doux-amer de la compassion (lire la nouvelle éponyme, tellement touchante, ou Le Brunch).

Si les treize nouvelles du recueil n’ont pas toutes le même charme (Au jardin d’Éden, ou Cheap Love, par exemple, nous laissent un peu indifférents), si certaines, comme Site historique, s’étirent un peu trop en longueur, ou semblent égarées dans l’ensemble (La Couenne), elles ont presque toutes ce petit quelque chose qui nous accroche et nous retient, un moment clé, un moment de grâce (la fin, dans Fondue chinoise), une trouvaille qui amuse et surprend (les coquerelles, dans Bon courage). Avec grâce et aisance, Bismuth rend les personnages vivants et hautement crédibles. Qu’elle emprunte le point de vue d’un garçon à peine pubère qui connaît, en même temps que son premier amour, sa première infidélité (Vanille ou Chocolat), celui d’une femme d’âge mûr qui s’ennuie de ses enfants devenus grands et trompe sa peine en cuisinant des tartes aux pommes qui s’empilent dans son congélateur (Les gens fidèles ne font pas les nouvelles), ou d’une jeune femme de sa génération, au tout début de l’âge adulte, qui assiste au mariage de sa sour avec un lourd secret sur le cour (La Demoiselle d’honneur), Nadine Bismuth s’efface complètement derrière ses personnages, ajuste son style, trouve le ton juste, et l’on n’y voit que du feu.
Fine observatrice, Bismuth l’est certainement. Mais elle est aussi fine psychologue. À vingt-trois ans, elle fait preuve d’une maturité et d’un sens du discernement étonnants. Son premier recueil ne révolutionne peut-être pas le genre, c’est vrai, mais il suscite beaucoup d’espoir. Et c’est peu dire que l’on attend la suite avec impatience. Éd. Boréal, 1999, 226 p.