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Chrystine BrouilletLes Fiancées de l’enfer : Crime et châtiment

Sous la plume de CHRYSTINE BROUILLET, la détective Maud Graham reprend du service. Dans cette cinquième enquête, la chevronnée policière est sur la piste d’un dangereux misogyne, qui cache bien son jeu.

Quelques mois après la parution du roman Les Neuf Vies d’Édouard, Chrystine Brouillet retourne au genre policier et nous livre un polar comme elle sait les ficeler. Cette nouvelle enquête de la désormais célèbre Maud Graham, détective de la police de Québec, fait suite aux romans à succès Le Collectionneur, paru en 1995 et qui sera bientôt porté au grand écran, et C’est pour mieux t’aimer, mon enfant, paru celui-là en 1996.

Émule des Miss Marple et commissaire Maigret, Maud Graham est en voie de devenir une incontournable du genre. Une héroïne que Chrystine Brouillet a beaucoup de plaisir à retrouver, d’un livre à l’autre: «Je l’aime de plus en plus, parce que je la connais de mieux en mieux. D’autant que je suis en train de lui créer une famille. Dans dix ou vingt ans, tout un univers va s’être articulé autour de Graham.» Dans cette histoire d’inceste et de viol, on retrouve en effet sa grande amie Léa, son collègue et amant Alain Gagnon et Grégoire, le jeune prostitué qu’elle couve d’un oil maternel. Des personnages qui jouent des rôles importants dans le développement de l’intrigue.

Les acteurs seraient donc en place pour une longue série romanesque? «Oh oui! Je n’ai pas du tout l’intention de faire comme Conan Doyle et de tuer mon personnage… Pour ensuite avoir à le ressusciter!», confie l’auteure.

Chronique d’un assassin
Avec Les Fiancées de l’enfer, Chrystine Brouillet signe l’un de ces polars où la psychologie des personnages a autant d’importance, peut-être plus, que l’intrigue elle-même. Sur les traces d’un violeur qui marque ses victimes d’une lettre sous le sein gauche, Maud Graham va lentement recoller les morceaux d’un vaste puzzle, et devra se glisser dans la peau du désaxé pour prévenir ses prochains coups. Le lecteur, lui, suit le parcours du psychopathe, Steeve Tremblay, autant que celui de Graham. Présenté dès les premières pages, celui-ci n’est pas qu’une ombre insaisissable, mais un pauvre type qui, jour après jour, développe une psychose: «Il y a les romans à énigmes – ceux d’Agatha Christie, par exemple -, où il faut découvrir le coupable. Ça ne m’intéresse pas beaucoup. Ce qui m’attire, c’est le cheminement psychologique des personnages. C’est pour ça que je fouille, que je fais beaucoup de recherche, que je rencontre des gens qui travaillent dans les centres pour femmes violentées. Je veux comprendre la pensée des gens impliqués dans de tels drames.»

Steeve Tremblay n’est pas le seul pervers de l’histoire. Il y a aussi le docteur Joël Labonté, qui porte bien mal son nom. Après avoir abusé de sa fille Suzanne, le doc voudrait recommencer avec sa petite-fille Marie-Ève: «Il y a deux intrigues parallèles, en effet, mais les deux hommes se ressemblent. Si le problème est le même, il se manifeste sous des formes différentes de violence, voilà tout. Que ce soit le viol ou l’inceste, la conséquence est toujours la destruction de la femme.»

Nos deux criminels, aussi futés soient-ils, auront affaire à une Maud Graham plus déterminée que jamais.

Graham, tellement sûre d’elle dans son uniforme de flic, développe de son côté des relations difficiles avec les hommes, craint de leur déplaire, un peu grassouillette qu’elle est. Aussi a-t-elle beaucoup de mal à croire qu’Alain Gagnon, le médecin légiste, s’intéresse vraiment à elle: «Combien de femmes sont des femmes de carrière extraordinaires, mais ont une vie privée des plus compliquées. Il faut dire que Maud Graham a eu une enfance terne. Elle a reçu peu d’amour, a grandi entre des parents peu démonstratifs. Alors elle doute d’elle-même, de son charme. Si elle est si bonne dans son travail, c’est qu’elle s’est défoncée pour être bonne au moins dans quelque chose.» Nous sommes loin de l’héroïne classique de roman policier, femme de marbre, inébranlable: «C’était nécessaire pour moi de créer un personnage comme celui-là, parce que dans la littérature policière, l’image de la femme a été trop souvent celle de la blonde pulpeuse et conne, écervelée, ou encore de la femme aux cheveux noirs méchante et maléfique… Graham, c’est un peu toutes les femmes d’aujourd’hui, qui travaillent et se posent une foule de questions, sont fonceuses d’un côté, puis, de l’autre, habitées par le doute.»

Peine capitale
Chrystine Brouillet vient de Québec, parle de la ville avec un attachement manifeste et n’a jamais hésité à situer son action dans la capitale. Seulement voilà: la ville n’est quand même pas infestée de ténébreux psychopathes. Graham risque de manquer de boulot, un de ces jours: «Québec n’est pas une ville si dangereuse, quand même! Éventuellement, je vais déménager Graham à Montréal. Il y aura un peu plus de travail pour elle, dans la métropole. Et il faut dire que la morgue est maintenant là-bas. Le chum de Graham, Alain Gagnon, va bien finir par s’y installer… Mais délaisser Québec ne sera pas facile, parce que cette ville agit vraiment comme un personnage.» Une histoire à suivre.

Cet été, l’auteure animera l’émission Un été à croquer, diffusée tous les matins à la radio de Radio-Canada. Un projet qui l’emballe, mais exige beaucoup de préparation. De son propre aveu, elle rêve déjà de l’automne, alors qu’elle couchera sur le papier les nouvelles aventures de Maud Graham.

Les Fiancées de l’enfer,
de Chrystine Brouillet

La courte échelle
1999, 224 pages