Livres

David Albahari : Le Livre bref

D’origine yougoslave, David Albahari est serbe; il a étudié la langue et la littérature anglo-américaines à l’Université de Belgrade. Né en 1948, il a publié de nombreux livres depuis 1973, a été traduit en plusieurs langues et a reçu des prix littéraires dans son pays, qu’il a quitté en 1994. Alors invité à passer un an à l’Université de Calgary, il a décidé de s’installer dans cette ville. Un premier roman traduit en français a paru chez Gallimard, L’Appât, qui sera suivi bientôt par L’Homme de neige.

Entre-temps, un éditeur québécois publie Le Livre bref, récit de cent pages dont le sujet de fond est l’acte d’écrire. L’écrivain en exil déclarait récemment dans une entrevue au journal Le Monde qu’il ne supportait plus les pressions politiques faites aux écrivains, le nationalisme ambiant et les valeurs d’extrême droite de plus en plus répandues en Yougoslavie.

Se réclamant d’une écriture «postmoderne», David Albahari, dont l’ouvre met l’accent avant tout sur la recherche littéraire, jouissait pourtant d’une bonne audience dans son pays. Si L’Appât décrit les difficultés vécues par un homme ayant décidé de quitter un pays en guerre, rien de tel dans Le Livre bref, qui, comme son narrateur l’explique au chef de police local à un moment donné, aurait pu s’intituler «Une vie à la campagne ou, tout simplement: Journées».

Voici en effet la chronique de la vie au quotidien d’un homme, un écrivain, venu s’installer pour quelques mois dans la maison de campagne d’un ami pour écrire ce fameux Livre bref, dont il n’a au départ qu’une vague idée. Lentement, il apprivoise cette maison qui craque, qui vit, entourée de forêts, d’un voisin «à portée de voix», d’un autre «plus loin qu’un jet de pierre». Un peu maniaque, il s’arrête à tous les détails, de la poussière aux insectes, jusqu’aux taupinières qui semblent former une menace souterraine et mystérieuse.

Du mystère, il y en a dans sa façon d’appréhender le monde et de repousser toujours la tâche qui l’a amené en ces lieux. Peu à peu, le narrateur, comme malgré lui, noue des relations, échange avec son voisin, le facteur, le boulanger du village, la caissière du supermarché qui, tout à coup, se fait plus attrayante. Il aperçoit des silhouettes inquiétantes à la nuit tombée, un garçon qui demeurera introuvable. Et il philosophe sur la vie, discute le sens de l’écriture avec ces gens qui s’y intéressent peu, note des pensées. Et le roman prend forme petit à petit sous nos yeux, l’écrivain devenant un personnage parmi les autres.

Ce Livre bref m’a rappelé, dans sa démarche, son projet de tout prendre en compte dans l’écriture, le livre de Peter Handke, Mon année dans la baie de Personne, qui, lui, n’avait pas la qualité de la brièveté. Malgré un travail d’éditeur pas toujours à la hauteur -ponctuation parfois approximative, nombreux mots coupés par un trait d’union inopportun -, sa lecture instruit, captive, et invite à mieux connaître cet écrivain. Traduit du serbo-croate par Ljiljana Huibner-Fuzellier et Raymond Fuzellier. Éd. Balzac-Le Griot, 1999, 100 p.