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La lune est menteuseAndrée Dufresne : Sur le divan

Ally McBeal peut aller se rhabiller. Les héroïnes de La lune est menteuse, premier roman d’Andrée Dufresne, traînent un beau paquet de névroses et de problèmes; le magazine qui a le malheur – malgré leurs aptitudes professionnelles – de les employer a peu à envier au bureau où sévit l’avocate anorexique. Grâce aux tribulations tragico-burlesques du trio d’amies, l’endroit tient parfois plus de l’antichambre du psy que de la salle de rédaction. Les filles, après tout, sont de redoutables «faiseuses d’histoires»…

Et elle en a, des bébittes, la protagoniste, Béatrice, surnommée Bébé par ses collègues compatissants ou exaspérés, qui la traitent avec la précaution de rigueur. «On aurait dit une famille dont l’un des enfants était handicapé et que les autres protégeaient.» Hantée par un événement traumatique survenu lorsqu’elle avait huit ans, mais verrouillé dans sa mémoire, la jeune femme, dévorée par la peur et l’angoisse, partage son bureau avec un homme gris imaginaire, qui représente L’Ennui… et s’avère un véritable noud de vipères.

C’est cet écheveau complexe et torturé que le roman démêle avec un luxe de détails, entrecoupant les séances chez un psychanalyste peu loquace, habile à dépister les lapsus langagiers révélateurs que commet Béatrice, de petits et grands événements dans la vie des trois filles. Les amours tumultueuses de la belle Claudia avec Peter, un magnifique journaliste torontois marié à une mégère; celles, pleines d’hésitations, de Bébé avec un sosie de Peter, tout aussi marié; ainsi que le calvaire vécu en sourdine par la discrète Angèle (un personnage un peu laissé de côté par l’auteure) auprès d’un mari jaloux.

Jumelant psychologie et fantaisie, d’une plume légère et colorée, Andrée Dufresne démontre un indéniable sens de l’image, une certaine originalité et une prolixité certaine. Dommage que la rigueur ne soit pas toujours au rendez-vous de cette ouvre touffue et débridée, difficile à décrire.

Succombant au piège du premier roman – celui de tout dire -, l’auteure dilue son intrigue centrale – le suspense quant à l’origine du traumatisme de Béatrice, qui sert d’épine dorsale au livre – sur 450 pages. Une bien généreuse brique pour, somme toute, si peu d’événements concrets. Les dialogues ont parfois de la verve (surtout lors des analyses), mais se perdent occasionnellement dans des enfantillages plus ou moins drôles. Quelques scènes perdent un peu de leur sel dans une description qui s’égare dans les détails. Les motivations des personnages sont expliquées jusqu’à plus soif, dans une prose qu’on dirait parfois emportée par le simple plaisir de l’écriture, aux dépens des nécessités de la narration. Malgré le suspense habilement maintenu, malgré le ton cocasse et souvent ludique, une certaine lassitude s’installe donc.

D’autant que la structure romanesque complexe se promène dans le temps,
cultive l’aparté, et, comme toute bonne psychanalyse, les retours en arrière. Ingénieux mais… On a un peu l’impression que le roman, à l’image de l’inconscient de Béatrice, prend un malin plaisir à brouiller les pistes, à compliquer les choses et, parfois, à tourner inutilement autour du pot.

La lune est menteuse
Éd. Lanctôt, 1999, 454 p.