Marie Darrieussecq : Le Mal de mer
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Marie Darrieussecq : Le Mal de mer

Depuis Truismes, le roman qui l’a propulsée d’une façon aussi fulgurante qu’inattendue dans la littérature française, les ouvres de Marie Darrieussecq s’articulent autour d’une disparition, d’une métamorphose inexpliquées, d’un mystère. Avec son troisième roman, la jeune auteure donne dans la litote et l’indicible.

L’argument de Mal de mer est d’une simplicité confondante – et trompeuse: une jeune femme va chercher sa fille chez sa grand-mère, comme elle le fait toujours après son boulot. Mais ce jour-là, la mère est habillée d’une robe soleil différente, a quelque chose d’inconnu dans le corps: elle enlève la petite, l’entraîne dans une station balnéaire, près de la frontière espagnole. En attendant qu’un détective embauché par le père ne les rattrape, le duo s’y établit, vit dans une «inconscience solaire», tout empli par l’univers marin, ce qui sera un bref intermède en forme de passage.

Outre une histoire de mère en fuite, le roman raconte surtout la mer – sans e. Traitée comme une entité vivante, elle aspire tout, avale tout, cette grande bouche «qui fend l’espace en deux». L’océan donne sa pulsation au livre, définit le temps, remplit l’espace. Devant ce personnage en constante mouvance, les figures humaines, elles, restent généralement anonymes, leur mystère, intact, à peine effleuré. Les «pourquoi» que pourrait susciter l’intrigue sont délibérément laissés de côté, les émotions, dépouillées jusqu’à l’aridité.

L’attention de l’auteure se porte surtout sur le panorama sans cesse renouvelé de l’eau, sur sa faune, ses phénomènes, ses métamorphoses. Les taches de couleur, la lumière qui joue sur les corps et détermine leur densité: avec un style magnifique, et d’une grande pureté, Darrieussecq manie des descriptions d’une telle précision qu’elles donnent naissance à des images singulières, éloquentes, où le familier devient vaguement étrange.

La narration, fluide comme une algue transportée en douceur au gré des courants, privilégie tour à tour le point de vue des personnages. La mère, la petite, la grand-mère, et le détective lancé à leur recherche, deux hommes chez qui la jeune femme éveillera de l’intérêt ou de la curiosité.

Ayant troqué l’ironie de Truismes pour une sorte de langueur minutieuse, Marie Darrieussecq joue ses cartes sans surprises, mais avec une maîtrise remarquable. Éd. P.O.L, 1999, 126 p.