Livres

Lectures poétiques : Récolte de rêves

Méconnue du grand public, la poésie n’en a pas moins pris racine au Québec. Le genre, qui compte de plus en plus d’adeptes, s’enrichit bon an mal an d’une constellation de nouveaux titres. En voici quelques-uns.

L’été, je me balade toujours avec un petit recueil de poèmes glissé dans une poche arrière ou dans mon baluchon. Pour peu que je trouve un coin d’ombre, j’en ouvre les pages et part à la rencontre du poète, de ses lieux intérieurs, peut-être aussi de moi-même.

Voici la liste de quelques recueils qui me sont tombés sous la main ces derniers mois. En espérant qu’elle vous incitera à jeter un oil à l’une de ces plaquettes qui, chaque fois, réinvente un peu du monde.

Commençons par L’Inconcevable, d’André Brochu (Trois). Il pouvait paraître inconcevable, en effet, de réunir sous un même titre deux cents pages de poèmes épars, les uns en vers libres, les autres en prose (on trouvera même un sonnet classique!), sur tous les tons, du tragique au fantaisiste. Opulent, éclaté, foisonnant, ce livre, dont je ne suis pas encore venu à bout, nous gorge d’une poésie sous toutes ses formes.

Dans un autre registre, deux mots au sujet de Tony Tremblay, qui vient de remporter le prix Émile-Nelligan avec Rue Pétrole-Océan (Les Intouchables). Certains ont décrié la facture plutôt adolescente de ce recueil, tandis que d’autres en louaient la vigueur et une désillusion assumée, criée sur tous les toits. Chose certaine, le poète exploite une langue bien à lui, très urbaine, et vise à créer l’équilibre entre l’oral et l’écrit. Il faudra vous faire votre propre idée.

Mainteant, une découverte qui a pour nom Claire Rochon. La Ville bleue, un recueil paru dans la collection «initiale» des Éditions du Noroît, présente une prose très précise, puisée à même l’amour ou l’enfance, où le réveil des sensations premières trouve écho dans les gestes présents et à venir.

Dans le volet «découvertes», mentionnons également le recueil de la lauréate du prix Piché de poésie 1998, Béatrice Migneault, intitulé On a asphalté le désert, qu’on trouve dans les pages de Poèmes du lendemain 7, publié aux Écrits des Forges. Cette suite de poèmes, où l’on sent une grande fougue et un sens délicieux du dérisoire, interroge avec acuité ce que nous faisons de nos vies. La langue est toujours incisive, jamais de bois: «J’ai dit ce qu’on ne voulait pas entendre / ce qu’on ne savait pas si clair / ce qu’on tenait pour acquis.»

Au Loup de Gouttière, une maison qui s’affirme un peu plus chaque année, quelques titres ont piqué mon intérêt. Une des belles découvertes de l’année, fut Werner Lambersy, le poète belge, dont le recueil D’un bol comme image du monde fait preuve d’une rigueur et d’une concision rares. En plaçant le bol au centre d’une symbolique de l’éternel recommencement, Lambersy montre que le cercle est partout, dans les orbites planétaires comme aux sources de la vie.

L’un des principaux animateurs du Loup, Gabriel Lalonde, nous a pour sa part offert, il y a quelques mois, Toi que jamais je ne termine. Les textes, qui forment un vibrant chant d’amour, sont accompagnés des ouvres de l’auteur lui-même, connu aussi pour ses très belles créations en art visuel.

Avec En mouvement (Triptyque), Robert Giroux poursuit quant à lui une ouvre sans prétention mais finement modelée, où le verbe paraît motivé par une volonté discrète de poser certains gestes, d’écrire ce qui doit être écrit: «J’insiste, je prends ma plus profonde respiration / contre le froid qui monte / j’inscris enfin ce qui me tord la langue / à couper.»

Terminons l’énumération par le plus récent recueil de Hugues Corriveau, connu autant pour ses romans et nouvelles que pour sa poésie, sans compter ses critiques en la matière, véritables références dans le monde des lettres québécoises. Le Livre du frère (Le Noroît) renferme de brefs poèmes en prose, textes brodés d’intuitions d’enfance, de liens originels, d’attachements profonds. Dense et très beau.
Voilà pour les quelques titres que je vais parcourir en ce début d’été. À suivre.