TesseractAlex Garland : À corps et à cris
Livres

TesseractAlex Garland : À corps et à cris

Alex Garland s’est fait connaître en 1996 avec un premier roman traduit en vingt-cinq langues: The Beach. Il y racontait la découverte de la Thaïlande par un groupe de jeunes, qui, espérant le nirvana, rencontrent la violence et le mal.

Ce Britannique n’a pas encore trente ans, et a été littéralement abasourdi par son succès: non seulement La Plage est-il devenu un roman culte pour toute une génération, mais il sera également porté à l’écran par le réalisateur de Trainspotting, Danny Boyle, et mettra en vedette Leonardo Di Caprio et Virginie LeDoyen.

Ce qui surprend surtout Garland, comme il le confiait à un journaliste du Wall Street Journal, c’est l’engouement soudain des jeunes Anglais pour la Thaïlande, et leur fascination pour une utopie qui n’existe plus; Garland disait s’inquiéter de tous ces jeunes backpackers qui sillonnent l’Extrême-Orient, croyant trouver le paradis, lui qui, plutôt que de les encenser, en faisait la critique dans son premier roman.

Tesseract, ce second titre de Garland, aborde un tout autre sujet. Mais encore une fois, il saura toucher les jeunes générations qui y verront le mystère des destins croisés, symbolisé par le «tesseract», sorte d’«hypercube» en quatre dimensions, et qui recèle apparemment un secret pour l’âme. «Pour toi et moi, Cente, c’est comme ça. Nous pouvons concevoir une chose ramenée à sa plus simple expression, mais pas cette chose elle-même.»

Sean, jeune marin anglais, est à Manille, dans une chambre d’hôtel miteuse où personne ne souhaiterait passer ne serait-ce qu’une nuit. Sean y attend nerveusement un chef de gang, Don Pepe, à qui appartient le bateau sur lequel il travaille. Son capitaine n’a pas voulu payer une part de protection à Don Pepe, il doit donc faire face au truand dont on découvre les frasques (torture, mise à mort, escroqueries) à rebours.

En deuxième partie, Garland introduit Rosa, une jeune mère de famille sortie de sa misère noire pour devenir médecin. Le dernier protagoniste, Vincente (appelé Cente), vend le récit de ses rêves à Alfredo, un psychologue qui rédige une thèse sur les jeunes de la rue à Manille. Si vous trouvez que ces trois histoires n’ont rien à voir, vous avez raison. Ce n’est que dans les dernières pages que le mystère s’éclaircit – ne surprenant pas outre mesure le lecteur.

C’est davantage pour les ambiances, les tensions, les personnages, décrits habilement, qu’on aime ce roman étrange et noir. Dès le début, où Sean se retrouve comme un rat en cage entre quatre murs, le processus d’identification opère. «À nouveau sur le lit, Sean, étendu, la tête appuyée sur le coude, regardait le sang sur les draps. Quel était le lien? Le téléphone, les draps tachés de sang, le judas. Les trois surgissaient comme ça, sans rapport entre eux. Mais rien ne surgit comme ça et les choses sans rapport n’existent pas. Il y avait forcément un lien.»

En fait, tous les personnages du roman sont liés par ce premier héros, symbolisant l’idée de destin qui traverse le récit. Pourquoi sommes-nous promis à un destin précis? Comment notre avenir s’organise-t-il par rapport à tous ceux qui nous entourent? Comment toutes ces rencontres sont-elles ficelées entre elles pour nous promettre à notre fatalité? Gros programme que ce roman: troquant la mièvrerie d’un Claude Lelouch contre la violence de Tarantino (l’humour en moins), Garland semble fasciné par les mêmes questions existentielles. Difficile de rester insensible à cette quête, quasi initiatique, que personnifient des héros attachants, vivants. Ce n’est en tout cas pas la traduction française qui gardera le lecteur en alerte, ni la qualité de la langue et de l’édition. En fait, si vous voulez découvrir Garland, peut-être vaudrait-il mieux le lire en anglais, et vous épargner cet argot exaspérant qui sort tout droit des maisons d’édition parisiennes…

Tesseract
d’Alex Garland
Éd. Hachette, 1999, 262 p.