MarmotteBryan Perro : Jeux de maux
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MarmotteBryan Perro : Jeux de maux

Bryan Perro n’est pas un écrivain connu, et pour cause, il en est à son premier roman, ayant plutôt publié du théâtre: Contes cornus, légendes fourchues et Louis Cyr. Né en 1965, l’auteur est comédien et metteur en scène, et il ne fait aucun doute: il sait incarner un personnage.

«J’habite au sous-sol. Je demeure dans la terre. Le sous-sol, c’est en dessous du sol. Marmotte. J’aime bien les marmottes.» Oui, un autre roman qui a pour personnage principal, et narrateur, un enfant. Mais, contrairement à de nombreux ersatz de Réjean Ducharme, ce roman est tout à fait personnel, inventif, et, le plus important, il marche.

Ce narrateur, que l’on suppose un petit garçon, observe sa famille. Tarzan, le roi de la jungle, enseigne le respect à Lapute, la mère, en lui balançant des gifles et des castagnes. Et il y a la sour de Marmotte, qui erre dans la maison comme un fantôme, vue, par l’enfant, comme une reine. «Ma sour ne frotte pas. Elle s’occupe à être la reine d’Angleterre. Elle garde ses souliers pour marcher sur le plancher. Moi, je frotte. (…) Lapute l’habille toujours en reine d’Angleterre. (…) Elle a une perruque blonde comme le soleil, la reine. C’est sa couronne (…). Avant que ses vrais cheveux ne tombent, ils étaient blonds aussi. Le gros docteur Lamontagne dit que ses cheveux sont tombés parce qu’elle est trop matisée.»

De temps en temps, Marmotte emprunte les habits de sa sour, et se fait traiter de «tapette» par les frères Boisvert. Habitant un monde intérieur tout de fantaisie et d’humour (noir, mais d’humour quand même), le narrateur se fabrique un langage, un vocabulaire, clairs indicateurs de son âge et de sa condition: exclu de la société par ses propres parents, eux-mêmes marginalisés par la misère, il ne saisit des mots des adultes que des bribes, des images. «Premièrement, ma ville n’est pas très belle à voir. On a plus envie de l’éviter que de rentrer dedans. Si ma ville ressemblait à une jeune actrice américaine, on aurait plus envie de rentrer dedans. Il paraît que c’est une blague cochonne. Normal. De temps en temps, je suis un maudit cochon. C’est drôle ça, "maudit cochon". Je ne la comprends pas, la blague.»

Marmotte vit aux côtés d’un père hyperviolent, alcoolo. Sa mère cherche à s’évader du foyer en prenant un amant (monsieur Moncrisdecav). Celui-ci, chargé de tuer le mari à l’usine où ils triment tous les deux, échoue, et Lapute subit les foudres du mari devenu une bête sauvage, incapable du moindre raisonnement.

Vivant dans un milieu où la violence physique est la seule communication possible, l’enfant se referme sur un imaginaire débridé, où le sexe et les coups sont l’unique monnaie d’échange. Les sentiments d’abandon, de rejet ne sont pas pour autant gommés. Au contraire. C’est lorsqu’il découvre le sort de sa sour, abusée par son père, que Marmotte comprend, peu à peu, le piège qui se referme sur les enfants. «Lapute a pris la reine d’Angleterre dans ses bras et elles ont pleuré ensemble. Il y avait de grosses gouttes qui tombaient sur le plancher. Il y en avait tellement que j’ai pensé que j’allais me noyer. Ça faisait comme de petits lacs sur le plancher. Elles pleuraient en silence. Ensuite elles se sont étendues sur le lit, l’une contre l’autre. Je le sais parce que ça faisait une grosse bosse sous le matelas et que je ne pouvais plus bouger. On aurait dit que leurs corps me touchaient. Elles m’écrasaient. Je ne pouvais presque plus respirer non plus.»

Le style de Perro est incisif, très «parlé». Par la répétition, l’onomastique, les jeux de mots (parfois un peu trop appuyés), il rend crédible ce personnage de petit garçon impétueux, foudroyé par le spectacle qui s’offre à lui. Et, ce qui est plus difficile, l’auteur parvient à développer avec cohérence la psychologie du héros jusqu’à la fin, alors que son innocence précipitera le terrible destin de la famille. Critique sociale, où se profilent les conflits entre «blôkes» et «Goddamfuchinfrench», entre les sexes, entre les classes, ce récit est une belle construction romanesque, qui a le mérite de régénérer un créneau, celui des personnages-enfants, très souvent emprunté dans la littérature québécoise. Vraiment, une découverte.

Marmotte
de Byran Perro
Éd. des Glanures, 1999, 161 p.