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José Saramago : Tous les noms

Âgé de 77 ans, l’écrivain portugais José Saramago, consacré depuis longtemps dans son pays où il recevait, en 1995, l’important prix Camões, se retrouve propulsé au rang des grandes voix du siècle grâce au prix Nobel de littérature qu’on lui a décerné en 1998.
Les Éditions du Seuil, qui ont déjà fait paraître en français sept de ses romans, dont L’Année de la mort de Ricardo Reis et Histoire du siège de Lisbonne, publient un roman paru en portugais en 1997, au titre étrange de Tous les noms; récit insolite aux accents kafkaïens qui raconte la désaffection progressive envers son travail d’un zélé fonctionnaire de l’État civil.

Préposé aux écritures de l’immense Conservatoire général où sont réunis les dossiers de tous les citoyens, morts ou vivants, monsieur José – seul personnage du roman à avoir un nom et encore, juste un prénom! – est un célibataire endurci. Il vit dans un petit appartement contigu à la salle des archives où il passe ses journées dans une atmosphère étouffante. Soumis à une hiérarchie bureaucratique impersonnelle qui l’oblige à obéir aux officiers d’administration, qui, eux, obéissent aux sous-chefs, eux-mêmes placés sous l’autorité du conservateur en chef, il consacre ses temps libres, une fois chez lui, à une collection d’informations sur les gens les plus célèbres du pays.

Or, un jour, dérogeant à sa douce manie, monsieur José s’arrête par hasard sur la fiche d’une femme inconnue et se met à s’interroger sur la vie de cette étrangère. Qui est-elle? Que fait-elle dans la vie? Quelle est son histoire? Sans trop savoir pourquoi, il décide de la rechercher et se lance dans une série d’actions aussi insolites qu’illégales pour tenter de la
retrouver. Il entre la nuit pour fouiller dans les archives du Conservatoire, sans autorisation, il falsifie des documents, s’introduit par effraction dans un collège, vole des papiers, interroge des gens. Tous ces efforts, il les fait en vain: la femme inconnue lui échappe
toujours. Cependant, au fil des jours, ses faits et gestes, ses rencontres le révèlent à lui-même, lui permettent de s’extirper peu à peu de la vie rétrécie à laquelle il était confiné jusque-là.

C’est par de longues phrases sinueuses, où les moindres pensées du héros sont décortiquées, où il dialogue avec lui-même, quand ce n’est pas avec le plafond de sa chambre à coucher, que José Saramago nous entraîne à la suite de monsieur José.

Avec un humour tout ironique, le grand écrivain dégage peu à peu une philosophie de la vie et de la mort, du passage des hommes sur la terre, dont l’essentiel semble tenir dans une certaine rébellion à toutes les règles. Seule la singularité des comportements, l’originalité, voire la bizarrerie de la pensée, pouvant sauver l’individu de l’informe magma au sein duquel se confondent tous les noms. Traduit du portugais par Geneviève Leibrich Éd. du Seuil, 1999, 272 p.