Ma vie tropicale _ Christophe Donner : Livre ouvert
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Ma vie tropicale _ Christophe Donner : Livre ouvert

Dans son nouveau roman, Ma vie tropicale, l’auteur français CHRISTOPHE DONNER dévoile toute sa vie, sans aucune retenue. Et il écorche au passage parents et amis. Toute vérité est-elle bonne à écrire?

Certains, envieux, diront: «C’est de l’exhibitionnisme littéraire.» Mais l’entreprise d’écriture que poursuit l’écrivain et cinéaste français Christophe Donner depuis 17 ans – son premier livre, et premier film, Petit Joseph, date de 1982 – va beaucoup plus loin que la simple provocation. Parce qu’il a choisi de tout dire, de ne rien dissimuler de sa vie et de ses sentiments, mettant en cause ses amis, ses parents, prenant en compte son passé, mais en étant de plain-pied dans le présent de l’écriture, l’auteur de L’Esprit de vengeance, Les Maisons et Mon oncle se situe bien au-delà des bons sentiments littéraires.

Il faut le dire, après tous ces romans patentés qui inondent le marché d’histoires préfabriquées, on est désarçonné, bouleversé par la vérité qui sort de son dernier livre, Ma vie tropicale. Il est vrai aussi qu’il ne s’agit pas à proprement parler d’un «roman»: il y a longtemps que l’écrivain a fait voler en éclats les étiquettes de genres. Empruntant au journal, car il relate des faits de sa vie au moment où ils se produisent, les histoires qu’il raconte, les gens qu’il met en scène, sa manière de dire les choses sans ménager personne, plongeant au cour des émotions les plus violentes, finissent bien pourtant par faire du roman. Et cela se lit comme tel.

Installé à Mexico depuis quelques années, Christophe Donner reprend là où il avait laissé après Forme d’amour no 3 ou 4, Quand je suis devenu fou et son récent pamphlet, Contre l’imagination. Lui qui a déjà subi quelques procès, qui a été renié par son père et par l’ensemble de sa famille, comme pour enfoncer le clou, entreprend de raconter à quel point l’amant de sa mère, «le premier homme que j’ai trouvé beau», dit-il, qui se meurt à présent d’un cancer du poumon, a toujours été un coureur qui aimait retourner auprès des femmes qu’il avait aimées. «Exactement comme moi avec mes amants», écrit-il. Quelques pages plus loin, il compose une lettre que son petit frère – avec qui son père lui a formellement interdit de communiquer – pourrait lui écrire le jour de la mort du paternel: «Tu fais tout pour te rendre antipathique, et c’est sans doute pour ça que je ne t’aime toujours pas. Je creuse, je comprends, je devine que devant la tombe de mon père, oui, je serai conquis, mais en attendant et au moins jusqu’à la fin de cette lettre, je ne t’aime pas. Jusqu’à ce que je comprenne que c’est bien là ton plaisir: conquérir celui qui ne t’aime pas. Je reconnais la manie, les poses de celui que tu hais: se faire détester a toujours été la stratégie préférée de mon père, pour séduire.»

On le voit, l’écrivain ne s’épargne pas lui-même. Si, beaucoup plus loin dans le livre, dans un passage des plus remuants, il attaque sa sour et sa mère avec véhémence, l’essentiel de son récit concerne cependant sa vie à Mexico avec ses amis. Encore là, pas de flagornerie: posant sur les amours de l’un ou l’autre son regard sans concession, usant toujours de son plein droit d’écrire ce qui lui chante, en en assumant totalement les conséquences, c’est sa vie qu’il joue au jour le jour.

Après les procès qui ont jalonné sa carrière d’écrivain, Christophe Donner s’est résolu à changer les noms de certains, relatant par exemple les amours futiles d’«Alina, fille du célèbre photographe René Davignon», avec l’écrivain Jean Dutot, de passage à la foire du livre de Guadalajara. Mais c’est tant pis pour eux, pense-t-il, et cela ne l’empêchera pas d’aller au bout de ce qu’il a à dire. Car son écriture est souveraine, elle est porteuse de vérité, des sensations les plus vibrantes, les plus dérangeantes.

Car il prend des risques, Donner, et il porte bien son nom, lui qui écrit comme quelqu’un qui n’a plus rien à perdre. Sa compréhension de la société mexicaine est juste et pertinente, à des lieues des clichés touristiques. Y compris lorsqu’il se met en tête d’enquêter sur les scandales de la famille Salinas. Quand il se préoccupe des jeunes de la rue, qui se droguent à la térébenthine, ou lorsqu’il va tourner un film dans un institut pour les sourds, où il cherche à percer le mensonge dont est victime Marco, un jeune sourd et aveugle, c’est à la vraie vie qu’il s’intéresse. Au fait, Ma vie tropicale est sous-titré Anatomie d’un miracle, et c’est le titre du film en question.
Certains demeureront allergiques à cette écriture et peut-être est-ce là sa victoire: «Je n’écrirai jamais pour les foules, je serai toujours dans la haute aristocratie de l’écriture, là où on est seul, dans aucun cercle, aucune école, aucun genre. Seul et amplement visité.»

Ma vie tropicale
Éd. Grasset, 1999, 306 pages