Un homme, un vrai – Tom Wolfe : Au sud du sud
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Un homme, un vrai – Tom Wolfe : Au sud du sud

Après l’énorme succès du Bucher des vanités, le romancier et journaliste TOM WOLFE est de retour avec Un homme, un vrai, un livre qui ne renouvelle pas grand-chose.

Dans les années 70, Tom Wolfe a été l’une de figures de proue de ce qu’on a appelé le nouveau journalisme. Mais lorsque le bonhomme donne, comme il le fait désormais, dans la fiction, il ne renouvelle plus grand-chose. Un homme, un vrai est un pavé de 800 pages que la critique états-unienne a encensé en le présentant comme l’oeuvre d’un Dickens ou d’un Balzac contemporain. Le principal problème réside précisément là: Wolfe romancier écrit comme on le faisait il y a cent ans!

Un homme, un vrai se situe à la croisée des destins de trois personnages. Charlie Crocker, d’Atlanta, est un richissime parvenu qui, à l’aube de la soixantaine, est confronté à la faillite. Macho et un brin facho, il incarne le sudiste américain typique, pour qui la reconnaissance des droits des Noirs consiste à se reprendre lorsque le mot nègre lui vient à la bouche. Conrad Hensley est un travailleur californien dans la jeune vingtaine qui, comme des dizaines d’autres, perd son emploi à l’occasion d’une réduction de personnel dans une des nombreuses entreprises de Crocker, et dont les tribulations finiront par le conduire en prison. Roger II White est un avocat noir en pleine ascension sociale, incarnation d’une nouvelle bourgeoisie afro-américaine, dont le nom résume le malaise qui le hante: Roger «two» White est too white, trop blanc!

L’avocat est amené à défendre le joueur vedette de l’équipe de football d’Atlanta: un Noir accusé d’avoir violé une Blanche, qui s’avère être la fille d’un opulent ami et associé de Crocker. Ce dernier, dans sa jeunesse, a lui-même été l’une des étoiles de la même équipe. Roger «too» White lui offre une occasion de régler ses problèmes de milliardaire en mal de liquidités, s’il accepte de se porter publiquement garant de l’athlète noir qui a grandi dans le voisinage des crack-houses d’Atlanta. Pendant ce temps, en Californie, Conrad Hensley découvre les horreurs du quotidien carcéral, de même que la philosophie antique des stoïciens. Profitant d’un tremblement de terre qui détruit les murs de son pénitencier, le jeune homme s’évade pour se retrouver, par hasard, quelques semaines plus tard, à Atlanta, employé dans la vaste demeure de Crocker.

On comprendra que les ficelles de l’anecdote d’Un homme, un vrai tiennent du gros câble! Et Wolfe ne réussit jamais à faire en sorte qu’on s’attriste sur le sort du jeune travailleur malchanceux, ou qu’on haïsse vraiment ce gros porc opportuniste de Crocker. Le bouquin présente malgré tout bon nombre de pages passablement réussies. Cela bien que la traduction (signée Benjamin Legrand) ait pas mal de difficulté à se faire l’écho de l’accent du Sud, de l’argot carcéral et de la tchatche typique des brothers qui résonnent tout au long des dialogues.

Les passages consacrés à la description de la vie en prison donnent froid dans le dos. La galerie de portraits d’employés de banque aigris de voir des millions leur passer sous le nez tandis qu’ils gagnent un maigre 150 000 $ par année vaut le détour. Les conversations entre premières épouses dont on a divorcé pour se remarier avec des minettes au corps de «garçons avec des seins» sont succulentes. Avec les discussions entre héritiers des vieilles plantations du temps de l’esclavage, à qui il suffit de quelques rasades de bourbon pour se mettre à chicaner ouvertement l’aveuglement des autorités face aux ravages moraux entraînés par la fin de la ségrégation raciale, Wolfe trace d’apeurantes caricatures.

Les reportages de Tom Wolfe se lisaient comme des romans; le défaut de ses fictions tient au fait que leurs meilleures pages se limitent à celles qui se lisent comme un reportage. Un homme, un vrai est un vaste collage de scènes et de portraits nappé d’une épaisse sauce romanesque: la chose est certes consistante, mais un peu indigeste…

Un homme, un vrai
par Tom Wolfe
Éd. Robert Laffont, coll. Best-sellers, 1999, 806 p.