Armand Mattelart : Histoire de l'utopie planétaire
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Armand Mattelart : Histoire de l’utopie planétaire

De la cité prophétique à la société globale

La mondialisation est une idée bien moins nouvelle qu’on voudrait nous le faire croire: telle est la conclusion qui s’impose à la lecture de l’Histoire de l’utopie planétaire que propose Armand Mattelart.

L’auteur se consacre depuis des années à l’analyse de l’univers des communications. Son Donald l’imposteur ou l’impérialisme raconté aux enfants (une étonnante étude sur l’empire Disney et Donald Duck comme outil de propagande politique) a l’insigne honneur de figurer parmi les quelques livres dont la circulation est de fait interdite aux États-Unis. Avec son Histoire de l’utopie planétaire, il nous démontre cette fois que le nouveau dogme du libre-échange et de la libre circulation de produits est en fin de compte aussi vieux que… le catholicisme!

Le mot vient du grec: khatolikos signifie «général, universel»; il est dérivé de khatolon: «en général», et de holos: «tout entier» (comme dans hologramme, holocauste). Et le christianisme est la première religion de l’histoire à prétendre être «la» foi universelle. Il n’a jamais fait grand cas des frontières nationales, et s’est depuis longtemps consacré à la diffusion de ce qu’on appelle aujourd’hui une «pensée unique».

L’Histoire de l’utopie planétaire retrace l’évolution de ce «catholicisme» depuis la découverte de l’Amérique. L’ouvrage permet de voir que, dans toutes les idéologies qui cherchent depuis lors à unifier les hommes et les marchés, dans toutes les technologies de communication qui, au fil des siècles, ont contribué à rapprocher les peuples, on ne cesse de trouver des traces de cette religion. Ainsi apprend-on, par exemple, que le premier message télégraphique qui ait été transmis (aux États-Unis, en 1844) se réduisait aux mots «What hath God wrought»: «Ce que Dieu a fait». Et lorsque quand Karl Marx écrit son Discours sur le libre-échange, c’est entre autres pour y dénoncer un certain docteur Bowring, qui «a donné à tous ses arguments une consécration religieuse, en s’écriant dans un meeting public: Jésus-Christ, c’est le free-trade; le free-trade, c’est Jésus-Christ!».

Aussi n’est-il pas étonnant que, de nos jours, la mondialisation de l’économie soit intimement liée au développement des industries états-uniennes. Les États-Unis sont une société profondément imprégnée de christianisme; c’est écrit sur tous leurs trente sous: «In God we trust»!

Au fil de cette Histoire de l’utopie planétaire, Armand Mattelart nous fait réaliser combien la volonté d’unifier la planète conduit le plus souvent à l’uniformisation des identités et des cultures. L’ouvrage se conclut sur un éloge de la diversité et des particularismes culturels: l’antidote au MacWorld, à ce catholicisme globalitaire, se trouve dans l’affirmation d’un nouveau cosmopolitisme. Ce n’est pas en parlant tous le même langage (surtout si c’est celui de l’argent) qu’on finira par se comprendre, mais plutôt en pratiquant tous plusieurs langues, en participant tous de plusieurs cultures. Un ouvrage tout simplement fascinant, passionnant et, surtout, essentiel. Éd. La découverte, coll. Textes à l’appui/série histoire contemporaine, 1999, 423 p.