Geneviève Robitaille : Chez moi
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Geneviève Robitaille : Chez moi

Le récit est un genre difficile, et glisse souvent vers le témoignage «premier degré». Geneviève Robitaille, qui en est à sa première expérience de publication, avait donc tout un défi à relever. A-t-elle réussi son pari? Plutôt bien. Arriver à rendre singulier le récit d’une vie ordinaire, à épurer la narration pour laisser apparaître un véritable style (malgré certaines maladresses), c’est ce à quoi l’auteure est parvenue.

Son histoire raconte une enfance brisée, celle d’une petite fille catapultée dans un monde de souffrance par la présence d’un père alcoolique, malheureux, dépressif. Autour de lui, la famille (la maman, le frère et la narratrice) essaie de garder l’équilibre. «Je gardais mon père lorsque ma mère avait de la visite. Nous écoutions la télé ensemble dans le grand lit. Mon père était malade, que me disait ma mère. Moi, je connaissais la vérité sur sa maladie, mais un après-midi j’avais décidé de fouiller sa garde-robe pour ne plus croire que je me racontais des histoires.»

Alors qu’elle se refait, la trentaine bien sonnée, une vie simple mais riche, la jeune femme, née d’une mère d’origine libanaise et d’un père québécois, essaie de mieux connaître le couple déséquilibré que formaient ses parents, et de comprendre cette famille meurtrie. «Après la mort de mon père, nous ne parlions presque plus français chez moi; mon grand-père n’y comprenait rien, et c’est lui qui nous élevait pendant que ma mère travaillait jour et nuit dans le tout-Montréal.»

Bien que les parents fussent tous deux musiciens, aucune douceur ne venait bercer les deux enfants laissés à eux-mêmes, sans chaleur, sans explication. «L’adolescence me guettait, impatiente (…) de me transformer en une autre, une autre que j’avais commencé déjà à construire sur des débris, une autre que je ne reconnaîtrais jamais dans ma vie d’adulte et contre laquelle je me battrais quotidiennement (…).»

Atteinte d’une maladie grave, la jeune femme aura appris à vivre avec un corps ralenti, mais un esprit vif et imaginatif. Assez en tout cas pour comprendre qu’elle n’a jamais eu le temps d’être une enfant, et que sa jeunesse survit à travers sa plume, guidée par ses souvenirs.

L’action se déroule entre Québec et Montréal, Pointe-aux-Trembles et Notre-Dame-de-Grâce, avec pour arrière-fond Octobre 70 et la musique de Françoise Hardy, rappelant une époque au cours de laquelle s’épanouissait, soi-disant, la liberté. Geneviève Robitaille montre bien qu’il n’en a pas été ainsi pour tous. Éd. Triptyque, 1999, 142 p.