Hélène Monette : Le Blanc des yeux
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Hélène Monette : Le Blanc des yeux

Poète et romancière, Hélène Monette est une rebelle pour qui tout de la vie actuelle, du monde d’aujourd’hui, est à reprendre à zéro. L’auteure du roman Unless (Éd. du Boréal, 1995) a d’abord publié des recueils poétiques, Montréal brûle-t-elle? (Écrits des Forges, 1987) et Kyrie eleison (Éd. Les Herbes rouges, 1994), et après Plaisirs et Paysages kitsch, recueil de poèmes et de contes paru en 1997, elle poursuit sur la même lancée.

Le Blanc des yeux rassemble trente-cinq textes dont plusieurs ont été publiés, en version différente, dans des revues, ou ont fait l’objet de lectures sur scène ou à la radio. Poésie en prose, apocalyptique, constat d’un désastre au sein duquel l’amour finira par oser dire son nom.
Il faut l’avouer, au retour des vacances, cette poésie n’est pas de tout repos… Dans le premier texte du recueil, intitulé Le Continent et la Tonne de briques, la poète évoque la découverte de l’Amérique et le peu qu’on en a fait: «Cinq cents ans de nulle part, un demi-millénaire de distraction. Y a-t-il des Américains sur la terre?»; puis encore: «Nous vasons dans un espace-temps aussi concret qu’une tonne de briques, aussi clair qu’une publicité; le néant doré des Amériques. Nous vaquons à nos sparages dans un silence aussi pompier que la terreur.»
Dans Vite, vite ou l’histoire facultative, elle déplore l’absence de mémoire généralisée, historique et personnelle, qui fait l’affaire de certains: «La mémoire devient le terrain de politiques, voies d’évitement, erreurs de frappe, contenu adapté, falsifié à volonté. On se met à table avec un sourire stratégique et des mains glacées.»

Dans les textes suivants, rien ne s’arrange, au contraire: guerres, violence, mort, désolation, la planète veut se suicider, «la Terre est un camp de concentration». Tout y passe, comme dans un bulletin de dix-huit heures. L’incendie est partout à la fois. Hélène Monette a les mots justes et, pourtant, son cri d’alarme ne porte pas jusqu’au coeur. N’a-t-on pas déjà tout ça sur le coeur, justement?

Jouant du «nous», du «on», du «ils», elle lance ses réflexions sur la morale, dénonce la dérision ambiante, remet en question l’ordre des choses. Ce n’est qu’à la page 98 du recueil qu’elle dit enfin «je» et tout à coup la poésie s’éclaire de l’intérieur; tout à coup, en tant que lecteur, on se sent touché. «J’en ai rempli des rivières / j’en ai pleuré des torrents / j’en ai reçu des pierres / j’en ai jeté aux gens / j’en ai mangé des coups / l’amour m’a traversée comme un ouragan / épargne l’océan / ravage le port et fout le camp / après la mort et bien avant / j’en ai bercé des cyniques / j’en ai mordu des fous/ moi, la mal-aimée / la toute croche.»

La plupart des textes qui suivent parlent de «l’amour immense», la parole cette fois est dirigée vers «vous», puis vers «toi», comment ne pas se sentir interpellé? Serait-ce une question d’agencement des textes, si tout doit être repris du début, peut-être ici fallait-il commencer par la fin: «C’est le désamour qui m’a fait vieillir autant et sur trois siècles / c’est votre amour qui balaie de son souffle / les fils d’araignée et les mouches endormies sur mes paupières / et je crie: qui va là ?» Éd. du Boréal, 1999, 128 p.