J. -M. G. Le Clézio : Hasard suivi de Angoli Mala
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J. -M. G. Le Clézio : Hasard suivi de Angoli Mala

Voici, s’ajoutant à une oeuvre déjà foisonnante, deux romans de Jean-Marie Gustave Le Clézio réunis en un seul volume, Hasard suivi de Angoli Mala, comme les deux facettes d’une même quête. L’écrivain, qui publie à rythme soutenu depuis quelques années, revient avec de ces histoires si riches d’expérience vécue qu’on a peine à y voir oeuvre d’imagination.
Et pourtant, s’il avoue avoir été «partiellement témoin» de la seconde, l’auteur du Procès-verbal, du Livre des fuites et, plus récemment, d’Étoile errante et
de Poisson d’or, réussit à créer des univers de fiction bien réels, ancrés dans sa connaissance du monde et de la nature.

Ainsi pourrait-on dire que, dans les deux récits proposés ici, les personnages principaux sont, respectivement, la mer et la forêt. La mer, c’est-à-dire l’océan Atlantique vers le sud avec ses vastes étendues silencieuses, ses tempêtes tropicales, sa solitude; la forêt, celle, luxuriante, d’Amérique centrale, plus précisément à Panamá, près de la frontière avec la Colombie, avec ses dangers, ses contrebandiers, son climat difficile, sa magie. Dans ces environnements naturels si angoissants, l’écrivain a mis en scène des natures d’hommes aux destins sans mesure.

Dans Hasard, le plus long texte, qui compose à lui seul les trois quarts du bouquin, Le Clézio s’embarque sur les traces d’une toute jeune fille, Nassima, déguisée en garçon pour l’occasion, sur un grand voilier en partance pour le bout du monde. Le navire s’appelle le Azzar et son capitaine, Juan Moguer, est une célébrité, cinéaste et aventurier. Seul
autre homme d’équipage à bord: Adriamena, son second. Ce sont les semaines de la traversée de l’Atlantique, et les relations, d’abord tendues, entre Nassima et les deux marins que nous décrit la narration. À travers la vie changeante de la mer.

Des drames, des moments de panique et des accalmies parsèmeront l’existence des personnages. Puis le voyage arrivera à son terme, Nassima la clandestine devra faire face à la police, puis à l’école de réforme. Plus tard, elle retrouvera Juan Moguer, celui qui aura en quelque sorte remplacé son père, parti un jour en mer en abandonnant sa femme et sa fille. Jusqu’à la fin, rien ne sera évident entre Nassima et Moguer, sauf l’attachement de ceux qui
se sont reconnus comme trop semblables.

Il y aura un peu ce même lien entre Bravito, le héros du second texte, Angoli Mala, court comme une longue nouvelle mais d’une densité aussi extraordinaire que la forêt tropicale où son histoire se déroule, et Nina, une fille des bois, mi-noire, mi-indienne.

Bravito, lui-même un Indien, a été adopté par un pasteur et élevé à la ville, avant de revenir sur sa terre natale. Là, au coeur de la forêt, il croit pouvoir trouver la paix, mais se rend vite compte que des hommes blancs, armés jusqu’aux dents, tiennent les siens sous leur joug. Dans un contexte d’une violence extrême, un homme seul, même le plus brave – d’où ce surnom, Bravito -, pourra-t-il changer les règles du jeu?

Alors que le premier récit se déroule au rythme tangant du clapotis des vagues, le second est une course folle pour échapper au danger; pas un mot de trop dans ces quelque soixante-dix pages.

Encore une fois, Le Clézio, écrivain qui ne fait aucune concession aux modes, concentré sur l’essence de vies dont il veut témoigner, fait montre d’un savoir-faire discret mais efficace. On en redemanderait. Éd. Gallimard, 1999, 296 p.