Michel-E. Clément : Phée Bonheur
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Michel-E. Clément : Phée Bonheur

Avec ce troisième livre, l’ancien monteur de films, recherchiste et scripteur à Radio-Canada Michel-E. Clément, qui avait déjà donné Confidences d’une prune (Éd. du Jour) et Ulysse de Champlemer (Éd. Triptyque), entame une série de romans, une saga socio-historique dont le premier tome est rempli de promesses.

C’est avec brio et une écriture d’une grande justesse qu’il décrit, dans Phée Bonheur, une communauté rurale du Québec de l’après-guerre. Un univers tout proche, celui de nos parents et grands-parents, qui, à l’aube des années cinquante, comme nous à la veille de l’an 2000, tremblaient devant l’avancée trop rapide du progrès et l’incertitude de l’avenir.

Au-delà de la reconstitution d’époque, bien documentée, ce sont surtout les êtres qui peuplent le petit monde de Saint-Piedmont, hameau des Basses-Laurentides, qui nous attachent au récit. À commencer par Phée Bonheur, institutrice reconvertie en boulangère, une nature de femme comme en a beaucoup connu notre société alors en construction.

Ce n’est pas un hasard si dans ce roman on construit et reconstruit, misant sur le savoir-faire ancestral: on devait, à l’époque, se donner des bases solides pour mieux se développer, la survie collective en dépendait. Phée, qui nourrit tout le monde de sa boulange, est aussi et surtout un pilier du village et l’axe central du clan DeGuise, depuis qu’elle a épousé Alfred DeGuise, veuf et homme d’affaires éprouvé par la perte d’un commerce prospère dans la ville voisine de Villenoble.

Le roman de Michel-E. Clément débute en force: au moment où le village entier est réuni à l’église pour la messe de minuit, le feu se déclare dans le magasin général des DeGuise, puis se répand à leur demeure. Dans la nuit, une corvée est organisée rapidement pour sortir les meubles. Phée dirige les opérations, mais, enceinte jusqu’aux yeux, la voilà en plein travail d’accouchement.

Un malheur n’arrivant jamais seul, tous les biens sauvés du feu seront volés dans la nuit, puis l’adolescent qui avait lancé l’alarme sera retrouvé pendu. Qu’à cela ne tienne, Phée Bonheur n’a pas dit son dernier mot, la jeune maman décide de tout rebâtir. Elle pétrira, et s’assurera une fois de plus la collaboration des meilleurs, à mesure que son mari, achevé par l’annonce de la mort de son fils aîné à la guerre, démissionnera de tout, à en devenir léthargique.

Il faudrait citer tous ceux qui entourent la bonne Phée: ses deux filles et son fils Caïus, né en riant et qui ne sait pas pleurer, un enfant extraordinaire qui se prendra de passion pour la lumière d’un cristal lointain; puis les Bertrand Moquin, Oscar Bigras et autres charpentiers; et le père Maltais et la malheureuse organiste de la paroisse, Balbine Massu, dont le père et le frère sont les bêtes noires de la région. Et la riche héritière des tabacs Deadwilling, Béatrice, et sa servante haïtienne, Coriandre.

Au fil des pages, comme au gré des jours, des mois, des années, l’écrivain redonne vie à un monde complexe, celui d’une société en mutation. À l’approche de l’an 1950, Phée Bonheur voit ses concitoyens se tourner vers le nouveau pain industriel Pompon et s’en inquiète. Quelle astuce trouvera-t-elle pour survivre? On le saura dans les prochains volumes de la série romanesque de Michel-E. Clément, qu’on retrouvera avec bonheur, car cette chronique enlevée, au style vif, garde (et donne) espoir en la bonne pâte humaine. Éd. Triptyque, 1999, 284 p.