Pierre Yergeau : Du virtuel à la romance
Livres

Pierre Yergeau : Du virtuel à la romance

Pierre Yergeau s’est attiré l’attention de ses lecteurs et de la critique dès son premier livre, un recueil de nouvelles, Tu attends la neige, Léonard?, paru en 1992. Depuis, il construit une oeuvre singulière, poétique, mais, il faut le dire, obscure. Reprenant certains thèmes de 1999 (qu’il publiait en 1995), Yergeau situe encore une fois ses récits dans une «ville-île», lieu insolite et fantasque où vivent des personnages destructeurs, en pleine déchéance, et qui semblent s’en réjouir.

Dans les nouvelles ou courts récits qui composent Du virtuel à la romance, l’écrivain a imaginé une ville-île pleine de couleuvres géantes, qui font la joie des habitants et des touristes, et qui aiguisent la curiosité de Melissa Bridge, jeune femme libidineuse et tortionnaire. «Elle sentait la présence haineuse des reptiles, et l’hystérie idolâtre que provoquait leur passage. Une religion où les fidèles se réunissaient pour capter sur le vif des photos-souvenirs, pour acheter des cartes postales aux étalages du vieux port.»

Symbole sexuel par excellence, le reptile prend beaucoup de place dans ces nouvelles. Adoré par tous, il incarne à la fois un fétiche et une menace, danger qui pèse sur tous ces habitants naïfs et impressionnables de la ville-île.

Mais ce lieu damné abrite également des individus douteux. Comme Puce, «au visage peu solennel», et Fleur, «un jeune homme glabre dont les yeux pâles et la bouche entrouverte lui donnaient l’air d’un Christ en croix», deux jeunes délinquants qui détroussent et tuent les gens qu’ils croisent. «Puce prit le sentier de la guerre. L’inspiration le saisissait, il tombait dans une transe. Il devenait un héros à la voix cassée. Un caïd déchu, prêt à prendre sa revanche sur le monde.» Après avoir fait les poches à un vieux monsieur et l’avoir achevé, ils continuent à rêver, à fantasmer sur leur pouvoir.

Il y a aussi la lascive Tania, qui, «au bruit des tambours et de la respiration belliqueuse des synthétiseurs», «soulevait ses bras haut dans les airs, comme si elle cherchait à griffer les plafonds». Ces personnages forment une faune vibrante, pleine de haine et de désirs, mais qu’on a peine à suivre dans leur marginalité. Même Charles Hoffen, «ancien cadre d’une prestigieuse compagnie de spiritueux», et Eugène Hyde, propriétaire de l’Organisation des Médias Interactifs, hommes plutôt conventionnels, n’arrivent pas à s’incarner sous l’écriture pétulante de Pierre Yergeau.

Il n’y a pas vraiment d’histoire dans ce recueil, mais des ambiances, des petites anecdotes; des flashs qui composent une esthétique de science-fiction, au sein de laquelle trône Annabelle Sosostris, une voyante. «Applaudissements extatiques. La salle s’abandonnait avec délectation à ce pouvoir enivrant. Portée par une vague, capturée par le sourire impérissable de la voyante, la salle recevait la Révélation.»

On sent bien que les reptiles qui peuplent cette ville, ces personnages hantés par le mal, ces décors très cinématographiques constituent autant de métaphores. Mais, même avec beaucoup d’imagination, l’allégorie est insaisissable. Malheureusement, la fonction «performative» de l’écriture noie les personnages, dissout l’action. Trop occupé à briller, à fabriquer des images (très belles, au demeurant), le style du recueil crée un mur infranchissable entre le lecteur et le récit. Éd. L’instant même, 1999, 98 p.