Sylvain Chomet : Sortir du cadre
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Sylvain Chomet : Sortir du cadre

L’événement Zone internationale du neuvième art (ZINA) réunit bédéistes et spécialistes de l’image. SYLVAIN CHOMET, bien connu pour ses albums Léon la Came et pour son film La Vieille Dame aux pigeons, nous parle des limites de la bande dessinée, et du pouvoir des images.

«Je pense que la plupart des scénaristes de bande dessinée qui ont vraiment eu des choses à raconter sont allés voir ailleurs, vers d’autres médias.»

Sylvain Chomet

Scénariste des deux séries BD Léon la Came (Casterman) et Le Pont dans la vase (Glénat), le Français Sylvain Chomet est installé depuis six ans à Montréal, où il oeuvre dans le domaine du dessin animé. Son premier film, La Vieille Dame aux pigeons, une coproduction franco-canadienne, a été acclamé par la critique et s’est vu décerner plusieurs prix. Invité à ZINA, Chomet y présentera son second film d’animation, Les Triplettes de Belleville, en cours de production.

Dans le studio de la rue Saint-Antoine, dans le Vieux-Montréal, où il est en train d’accoucher de ses Triplettes, Chomet se souvient de la double fascination qu’il a toujours éprouvée pour la bande dessinée et le dessin animé. Enfant de la banlieue parisienne, né en 1963, il dit avoir été initié à la première à travers des publications comme Tintin et Pif Gadget, et au second grâce aux productions de Walt Disney, comme Les 101 Dalmatiens et Le Livre de la jungle. «C’était à l’époque où Disney essayait encore de secouer les choses artistiquement», dit Chomet.

Dès l’adolescence, il fait des «petits dessins», suivant son besoin de raconter des histoires. La BD lui apparaît tout d’abord comme le métier le plus accessible, tandis que le dessin animé lui semble «trop technique». «Je ne pouvais pas encore imaginer que je pouvais faire bouger des choses. C’étaient les Américains qui faisaient ça. Alors que chacun peut se munir d’une feuille et d’un crayon.»

Très tôt, il recherche le côté «adulte» tant de la BD que du dessin animé. «Petit, j’ai vu La Planète sauvage, de René Laloux, à la télévision, un film qui m’a vraiment marqué. Il y avait un côté adulte que je trouvais captivant.» Ce qui a longtemps manqué en BD. «Le problème de la bande dessinée, c’est qu’ils n’ont pas réussi à en faire un média "adulte". À partir de 40 ans, les gens décrochent. Mais il y a des choses vraiment intéressantes, comme le roman graphique [une bande dessinée ayant le format d’un roman et qui privilégie la narration]. Quand est sorti Maus d’Art Spiegelman, ç’a vraiment été une révélation. Je me suis dit que la bande dessinée avait enfin trouvé une nouvelle voie. On allait pouvoir faire quelque chose d’adulte, destiné à un public qui lit des romans, arrêter de mettre de l’avant uniquement le côté clinquant de la bande dessinée, qui relève du dessin.»

Bouge de là
Le jugement que porte Chomet sur l’évolution de la BD est implacable. Selon lui, ce média, égaré dans trop de directions, est en train de perdre de son potentiel. De plus, le milieu fait de la place surtout aux dessinateurs (un constat qu’il n’est pas seul à faire). «Je pense que la plupart des scénaristes de bande dessinée qui avaient vraiment des choses à raconter sont allés voir ailleurs, vers d’autres médias. Des gens comme Gérard Lauzier, par exemple, qui sont allés du côté du cinéma.»

S’il va lui-même voir du côté du cinéma (dans son cas, le cinéma d’animation), Chomet a néanmoins eu le mérite de créer une BD toute différente, imprégnée des préoccupations actuelles de son auteur. C’est, bien sûr, l’inimitable Léon la Came. «Quand on a fait Léon la Came, avec Nicolas de Crécy, on voulait quelque chose de différent. Au début des années 90, c’était la mode des séries historiques avec histoires de cul, etc. Il n’y avait rien sur ce qu’on vit de nos jours.»

Cette actualité qu’a voulu rendre Chomet dans sa BD s’exprime dans la névrose et l’obsession des personnages de la série; celle de l’américanisation, par exemple, surtout dans le premier album. «Les Français, les Parisiens, sont vraiment américanisés. Tout tourne autour de l’argent. On va vers celui qui est le plus puissant, les cultures les plus agressives, les plus impérialistes.» Résultat: dans la famille de Gégé, personnage de la bédé, et qui fait partie de l’élite financière, on ne jure que par les States. On se drape d’un drapeau américain à l’odeur de fraise. On jure en anglais….

Chomet avoue franchement ne plus lire de bandes dessinées. Son monde, maintenant, c’est le cinéma d’animation (il a quand même écrit le scénario du quatrième épisode du Pont dans la vase, qui devrait paraître l’an prochain). Ses films, dépourvus de dialogues, le rapprochent du dessin, du mouvement. «Je trouve ça magique de voir bouger mes dessins sur un écran. J’aime le côté mise en scène, comme une caméra: changer de plan, choisir la musique. C’est la vie. Parfois, je vois des bandes dessinées qui sont plus réalistes, avec des cadrages cinéma, et je trouve que c’est mort. La bande dessinée devrait plutôt aller du côté du théâtre ou du roman.»
Avec Les Triplettes de Belleville, Sylvain Chomet s’éclate plus que jamais. Comme dans La Vieille Dame et les pigeons et le dernier épisode de Léon la Came (dont l’ineffable Madame Adrienne est l’héroïne), Chomet y peint une quête de femme âgée. Cette fois, il n’y en a pas moins de quatre, dont trois sont des triplettes hétérozygotes, géantes et musiciennes de jazz, par-dessus le marché. Une histoire qui transportera le spectateur de la fin de la Seconde Guerre, en France, à une ville nord-américaine imaginaire, Belleville, qui ressemble intentionnellement à Montréal. Une ville dont le port vous accueille non pas par la statue de la Liberté, mais par Le Baiser de Rodin. Également au programme: un gros chien et un champion du Tour de France enlevé par la mafia.

Ne rêvons pas trop à la magnifique BD que cela aurait donné et attendons impatiemment la sortie du film…

La rencontre avec Sylvain Chomet
aura lieu le vendredi 10 septembre, à 15 h 09,
au complexe Ex-Centris