Annie Lavigne : Marie de la mer
Annie Lavigne publiait en 1996 – elle avait vingt ans – un récit plein d’esprit, Moi et les cons, où elle raillait les travers sociaux avec humour et finesse. La jeune auteure signe cette fois un roman d’amour dans la plus pure tradition harlequinesque, ceci dit sans préjugés. Alors qu’on attendait quelque chose de plus corrosif, Marie de la mer est plein de couchers de soleil et d’orages dévastateurs, de tempêtes intérieures et de scènes torrides; bref, de clichés d’usages dans ce genre de littérature.
Nous sommes en Gaspésie au dix-neuvième siècle. La petite Marie a été trouvée au bord de l’eau, à Anse-aux-Rosiers (d’où son nom, Marie de la mer), et vit avec son père adoptif, le Carol, qui a perdu l’usage de ses jambes lors d’un accident qui a coûté la vie à sa Madeleine qu’il adorait et qu’il se languit de rejoindre.
Marie est différente des filles du village: elle est frondeuse, sauvage, ambitieuse, indépendante. Va-t-elle se marier, comme les autres, et faire des enfants, pendant que son mari travaille aux champs? En tout cas, elle ne veut pas épouser n’importe qui, et se refuse à plusieurs: elle veut connaître l’amour et le bonheur, l’épanouissement, la liberté. Marie est une créature envoûtante, et sa plus belle capture porte le nom d’Antoine, jeune étudiant en droit qui vit à Québec et passe ses étés chez ses cousins, les Boileau. Les deux amants vivront une passion, et Annie Lavigne décrit par le menu les déchirements et les langueurs de Marie, avec des scènes d’amour très explicites.
Mais la jeune héroïne sera la risée de tous lorsque son bel Antoine repartira pour la grande ville, pendant qu’elle reste là, à subir le mépris de ses voisins. C’est d’ailleurs cet aspect du roman qui présente le plus d’intérêt. L’auteure rend bien la psychologie de ces commères, qui, n’ayant rien à se mettre sous la dent, donnent leur avis sur les fréquentations de Marie; ou encore, elle peint avec justesse la jalousie de ces hommes transis d’amour qui ne supportent pas que Marie se refuse à eux.
Lavigne déploie l’arsenal symbolique des romans d’amour, où la nature joue tellement bien son rôle, comme en témoigne la scène de l’étang, alors que les amoureux se découvrent pour la première fois. «Antoine et moi descendons de nos chevaux, que nous attachons a une branche basse d’un arbre. (…) Sans une once de gêne, il baisse son pantalon et marche vers moi. C’est la première fois que j’ai la chance d’admirer Antoine flambant nu. Je reste muette, le regard fixé sur les courbes de son corps. La vue de son sexe fait remonter en moi des vagues de désir.»
Le roman d’Annie Lavigne, correctement structuré, rondement mené, appartient à un genre qui flatte les sentiments: si on aime, on peut prendre un certain plaisir à la lecture. Sinon, on désespère de toutes ces scènes cent fois lues et vues, qui peuplent les romans d’amour du monde entier. Éd. Libre Expression, 1999, 238 p.