Dans la tête des filles : Terrain vague
Catherine Fol, qui publie ces jours-ci Dans la tête des filles, chroniques de l’après-féminisme, s’est surtout fait connaître avec Au-delà du 6 décembre, un film controversé sur la tragédie de Polytechnique, alors que quatorze jeunes femmes ont été assassinées par un tueur fou disant haïr les féministes.
Cet événement est sans contredit une date marquante dans l’histoire du Québec. On peut dire sans se tromper qu’au lendemain du 6 décembre, la société québécoise était profondément divisée sur les leçons à tirer d’un tel drame. Polytechnique a marqué les relations hommes-femmes; ce drame a également sonné le glas d’un certain féminisme, isolant tout à coup les Lise Payette, Armande St-Jean et autres militantes de cette génération qui, très ébranlées par l’événement, ont donné l’impression de vouloir se l’approprier, alors qu’elles tentaient maladroitement d’utiliser cet acte de terrorisme anti-femmes pour relancer la réflexion sur leur place dans la société. Depuis ce jour, on ne compte plus le nombre de fois où l’on a annoncé la mort du féminisme dans les médias.
Le 6 décembre, c’est donc le point de départ de ce recueil de chroniques au ton naïf et aux réflexions souvent superficielles. Le constat de départ de l’auteure – «Il y a un problème avec le mot féminisme, quelque chose de vieux dont plus grand monde ne semble vouloir» – est suivi d’un enchevêtrement de réflexions personnelles, de conversations entre copines et d’anecdotes, dans le but de peindre une sorte de tableau d’une génération qui se questionne sur la place des femmes dans la société, ainsi que sur les nouveaux rapports hommes-femmes en cette fin de siècle. Le tout est saupoudré de quelques statistiques et de comptes rendus studieux sur – ce ne sont que des exemples parmi tant d’autres – l’intelligence, le darwinisme et les chromosomes.
Le résultat? Un livre un peu navrant qui prouve une chose: au Québec, hors du cadre universitaire, la réflexion féministe n’est pas considérée comme quelque chose de sérieux. On commence ses phrases par «Moi-je» et voilà, le tour est joué.
Le problème principal de ce livre, c’est que le féminisme auquel s’attaque Catherine Fol pue les boules à mites à plein nez. En fait, il n’existe pratiquement plus, sauf peut-être dans les textes du téléroman Les Machos.
Catherine Fol écrit: «Le mouvement des femmes est mûr pour une métamorphose.» Wow! Si seulement elle s’était donné la peine de taper le mot «féminisme» sur n’importe quel moteur de recherche, elle aurait eu le vertige en découvrant le nombre d’ouvrages publiés au cours des dix dernières années. Aujourd’hui, en 1999, le féminisme est un mouvement multiple, traversé par différents courants de pensée, un mouvement vivant qui se remet régulièrement en question et qui est alimenté par la réflexion de dizaines de jeunes femmes. Des noms? Susan Faludi, Naomi Wolf, Katie Roiphe, Susie Bright, etc.
Même en France, où le féminisme est presque un mot tabou, les débats publics sont traversés ces jours-ci par des discussions sur la maternité, la conciliation travail-famille, la parité. Et c’est sans compter les profondes remises en question qui ont lieu présentement dans des dizaines de pays en voie de développement. Bref, le féminisme est tout sauf moribond. Quant à la métamorphose tant souhaitée par Catherine Fol, elle a commencé il y a au moins quinze bonnes années.
Cette absence de connaissances de la part d’une jeune femme qui dit vouloir offrir une réflexion sur le féminisme, fait de ces Chroniques un livre sans grande pertinence et déjà dépassé. Dommage.
Dans la tête des filles
Chroniques de l’après-féminisme
de Catherine Fol
Éd. Stanké, 1999, 158 p.