Hubert Mingarelli : Une rivière verte et silencieuse
Il s’appelle Primo. Il doit avoir huit ou dix ans, l’âge légal pour préparer, tout seul, des haricots-poivrons-tomates sur le petit réchaud de la cuisine. Ce doit être les grandes vacances, puisqu’il ne parle jamais de l’école, et passe de longues heures, tout seul, à marcher dans son «tunnel»: un passage qu’il s’est frayé à travers les herbes hautes d’unterrain vague près de chez lui. Sa mère doit être morte, ou bien elle les a quittés depuis longtemps, car pendant que son père est au travail ou, le plus souvent, à la recherche de travail, il chasse, tout seul, avec l’embout du vieil aspirateur, les mouches qui virevoltent dans la maison. Et le soir venu, il aide son père, son héros, à arroser, avec mille précautions, la terre des cent pots où il a planté des graines de rosiers, dans l’espoir de les revendre, le temps venu, et d’acheter un peu de luxe.
Tout l’univers du jeune narrateur d’Une rivière verte et silencieuse, premier roman d’Hubert Mingarelli à être publié dans une collection «adulte», tient entre ces pôles fragiles: un père aimant, mais qui n’arrive pas à être adulte, un tunnel où marcher et où laisser se dérouler ses pensées, et les cent petits pots de terre noire, porteurs d’un espoir fou, où seules les mauvaises herbes semblent vouloir pousser. Dans cette vie de pauvreté, l’échappée dans le rêve devient aussi vitale que l’air que l’on respire. Alors, en attendant de s’acheter des merveilles au magasin Spinelli, avec l’argent des rosiers, qui finiront bien par pousser, et l’aide de ce Dieu qu’il prie tout les soirs mais qui semble dur d’oreille, Primo s’échappe autant qu’il le peut.
Il n’y a pas de doute, l’enfance est, pour cet auteur de romans jeunesse, un terrain parfaitement connu. Il en capte l’essence, la candeur, la naïveté qui n’est pas manque de lucidité, mais instinct de survie. Tout au long de ce récit qui fait un peu plus de cent pages, et que nous parcourons le coeur serré, il réussit admirablement à nous faire voir le monde àtravers le regard de ce petit qui, nous le devinons trop bien, est sur le point de faire une entrée douloureuse dans le monde adulte. Avec, pour tout bagage, des souvenirs heureux inventés de toutes pièces, des rêves d’un monde où les papas emmènent leurs garçons à la pêche, sur les rives d’une rivière verte et silencieuse. Éd. du Seuil, 1999, 123 p.