L’IncesteChristine Angot : L’angoisse de la reine Christine
Une voix singulière et provocatrice se fait entendre dans la littérature française actuelle. Voici L’Inceste, septième livre de CHRISTINE ANGOT. À lire en sirotant une camomille, au cas où les nerfs vous lâchent…
On le sait, la rentrée littéraire française se cherche chaque automne un bon scandale, quelque chose de sulfureux, de méchant, de spectaculaire. L’an dernier, Michel Houellebecq incarnait cet auteur maudit qui «divisait» en deux la France littéraire avec ces fameuses (et excellentes) Particules élémentaires. Cette année, Christine Angot (auteure de Vu du ciel, 1999, Interview, 1995, Sujet Angot, 1998, entre autres) annonce la discorde tant souhaitée.
L’objet du scandale? D’abord une femme au fort caractère, qui tire sur tout ce qui bouge, et qui n’a, apparemment, aucune pudeur. Ensuite, et surtout, un roman, L’Inceste, qui raconte la vie d’une femme qui s’appelle Christine Angot, ses amours avec Marie-Christine, ses doutes, ses angoisses, sa folie. Si elle lisait cet article, l’auteure brûlerait probablement ce que je viens d’écrire: sacrilège en effet que de réduire à quelques lignes la quête si intense de vérité que représente ce roman.
Pour qui a aperçu Angot à Bouillon de culture dimanche dernier, il est difficile de croire en effet qu’elle aura quelque indulgence que ce soit à l’égard de la critique ou du lecteur. Intransigeante, abrupte, elle réglait ses comptes en public avec un éditeur qui lui avait fait l’affront de refuser son manuscrit, et disait à ses interlocuteurs, notamment à Michèle Gazier et à Jean-Marie Laclavetine (l’éditeur en question, également écrivain), que leurs romans étaient mauvais, que ce n’était pas de la vraie littérature (je résume).
Si vous avez trouvé Angot agaçante, égocentrique pour ne pas dire narcissique, son roman ne fera que renforcer votre impression. Malgré tout ce que l’on dit sur la distance entre l’écrivain et son livre, même quand il se met lui-même en scène, le roman et l’auteur, ici, ne font qu’un. En trois parties, Christine Angot raconte ses amours difficiles, déchirantes entre elle et sa maîtresse, docteure dans un hôpital. Leur relation frôle le sadomasochisme, et les angoisses sont écrites à vif, comme sur l’instant. Angot raconte à travers cette relation ses doutes, que dis-je, ses drames d’écrivain, et développe, en marge de tout cela, un commentaire social intelligent et pertinent.
La vie dans le désordre
En un style hachuré, aux forts accents céliniens, rapide et dynamique, le roman reproduit le mouvement de la vie: on est amoureux, on fait ses achats, on est en colère, on répond au téléphone, on réserve une chambre d’hôtel, le tout dans le désordre. Le livre d’Angot reproduit donc la vie, que nous vivons tous sans plan défini d’avance, et surtout sans linéarité.
Cela donne un objet déconcertant, mais irrésistiblement fascinant et parfois drôle. Sous cette écriture vive et volontaire, la voix de l’auteure-narratrice se fait forte et prend toute la place. «J’ai devant moi la lettre d’Afrique, le livre de Guibert, le magazine Eurêka, Libé sur le Viagra, les carnets de son père, les clones d’animaux, le téléphone. Elle ne m’a pas appelée ce matin. Je suis épuisée, je dormais, Léonore m’a réveillée. À la porte, toc toc.»
Angot parle de ce qu’elle lit (surtout de Guibert, qu’elle réécrit dans les premières phrases de son roman), de sa fille Léonore (à qui elle dédie son livre), des films qu’elle voit, des stars qu’elle côtoie de loin; bref, de tous ceux qui tournent autour d’elle, changeant à peine les noms (Nathalie «Bayard», par exemple), ce qui ne manque pas d’exciter les amateurs de potins et de mondanités. «Claude n’a pas lu Sujet Angot non plus. Autour de moi personne ne lit plus. En fait, je suis une Indienne, de la classe des intouchables. Je touche les ordures, et normalement les morts.» Poussant la mise en scène de soi le plus loin possible, Angot cite ses propres livres, et les critiques qu’elle a reçues. «Même après quand c’est publié, ceux qui m’aiment ne veulent pas le lire, "ça tue des choses", paraît-il. À la suite de l’article "Christine Angot parle juste" (Le Monde, 24 septembre 98), le ministère de la Culture m’a proposé les Arts et les lettres, la décoration.»
Ce n’est qu’à la fin du livre, en troisième partie, qu’Angot aborde l’inceste du titre, et raconte par flashs la relation qu’elle a connue avec son père.
Mais, surtout, L’Inceste est une véritable expérience: combien d’écrivains interpellent-ils le lecteur avec autant de véhémence? «Oui, c’est ça. Oui, c’est vrai. Oui, cela bousille la vie d’une femme. Cela bousille une femme, même, on pourrait aller jusqu’à dire. C’est un sabotage. Oui, on pourrait le dire comme ça. Ce livre va être pris comme un témoignage sur le sabotage de la vie des femmes. Les associations qui luttent contre l’inceste vont se l’arracher. Même mes livres sont sabotés. Prendre ce livre comme une merde de témoignage ce sera du sabotage, mais vous le ferez. Cela bousille la vie d’une femme, cela bousille la vie d’un écrivain, mais ce n’est pas grave comme on dit.»
Provocateur, le roman d’Angot? C’est le moins qu’on puisse dire. En fait, elle fait partie de ces gens qui ne supportent pas les masques, et qui recherchent, toujours et à tout prix, la vérité. On l’aime et on la hait en même temps: mais vous savez au moins qu’elle ne raconte pas d’histoire.
L’Inceste
Éd. Stock, 1999, 217 p.
En librairie le 27 septembre