Yôko Ogawa : L'Annulaire
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Yôko Ogawa : L’Annulaire

Cinquième livre traduit de la Japonaise Yôko Ogawa, née en 1962, maître ès envoûtement et petits romans aussi concis que saisissants. Après La Piscine (1995), Les Abeilles (1995), La Grossesse (1997) et une quatrième oeuvre au titre interminable, Le Réfectoire un soir et une piscine sous la pluie, suivi d’Un thé qui ne refroidit pas (1998), l’écrivaine, dont le talent a été récompensé par des prix littéraires importants dans son pays, revient avec L’Annulaire.

Encore une fois, une jeune femme y succombe à des pulsions indicibles et au charme insolite d’un homme plutôt inquiétant. Comme précédemment, c’est à un univers des plus étranges que nous convie Yôko Ogawa.

Et à nouveau, la narration à la première personne du singulier est assurée par une fille d’une vingtaine d’années qui, après un accident de travail apparemment anodin, a dû quitter son emploi dans une usine d’embouteillage de boissons rafraîchissantes. Sur la chaîne de montage, un jour d’été, son annulaire s’est coincé dans un engrenage et un bout de chair a été emporté: «Soudain, je me suis aperçue que du sang avait giclé jusque dans la cuve où il colorait la limonade en rose. Sa couleur claire pétillait avec les bulles.»

Quittant son village au bord de la mer pour la ville, elle se présente à une entrevue pour répondre à une offre d’emploi placardée à l’entrée d’un bâtiment vétuste, semblant voué à la démolition. Il s’agit d’un ancien foyer de jeunes filles transformé en laboratoire de spécimens, lieu dont l’usage plutôt obscur lui sera expliqué par le directeur, M. Deshimaru. Ce dernier, à l’instar d’un taxidermiste ou d’un conservateur maniaque, recueille les objets apportés par des gens qui veulent se défaire d’un souvenir ou d’une douleur qui y est rattachée: il peut s’agir de champignons apparus après l’incendie d’une maison, des os d’un moineau décédé, ou encore d’une partition musicale.

La narratrice, engagée à la réception, va se voir prise, peu à peu, dans les filets de son mystérieux employeur. Une relation aux relents fétichistes, avec une singulière paire de souliers à la clé, va s’installer, jusqu’à une issue sans retour. Des personnages tenteront en vain d’intervenir pour sauver la jeune femme, enivrée malgré elle par sa propre souffrance.

Réalisme magique ou fantastique, avec ce petit livre aussi déroutant que les autres, Yôko Ogawa poursuit une oeuvre d’une belle unité. Puisque l’ensemble déjà traduit ne fait pas 500 pages, l’éditeur devrait peut-être songer à le publier en coffret, dans l’édition de poche Babel, histoire de le rendre plus accessible. En attendant la suite. Traduit du japonais par Rose-Marie Makino-Fayolle. Éd. Actes Sud, 1999, 96 p.