Jean-François Beauchemin : Garage Molinari
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Jean-François Beauchemin : Garage Molinari

Dans Garage Molinari, JEAN-FRANÇOIS BEAUCHEMIN remet sa plume au service de Jérôme, le héros de son premier roman, Comme un enfant je suis cuit. On y retrouve le même univers fantaisiste qui, à la longue, peut paraître tout beau tout rose et trop enjolivé, mais possède indéniablement tout le charme de la peinture naïve.

En deux romans, Jean-François Beauchemin aura campé son univers, son style, trouvé sa voix. Garage Molinari prolonge et étoffe le monde romanesque découvert dans Comme enfant je suis cuit, publié chez Québec Amérique il y a un an. Ça «confirme», pour paraphraser le héros, Jérôme: même narrateur, même vision fantaisiste, même façon de faire joujou avec la langue. Quelque chose comme du Émile Ajar sans la noire profondeur de fond.

Il a grandi, Jérôme, désormais âgé de 20 ans, et il s’est assagi; mais il porte toujours un regard décalé à la fois candide et pénétrant sur le monde, nommé avec des expressions bien à lui. Quand le roman débute, sa maman vient d’être emportée par la mort, en plein «effort de correction de destin» (on comprend que faire le trottoir pour nourrir ses petits, ça use tôt sa femme), laissant Jérôme et son demi-frère, Jules, traumatisés par cet «effrondrement familial». Dès que ses émotions menacent de déborder, Jérôme doit ouvrir des robinets, et laisser se déverser les flots apaisants. Quant à Jules, il refuse de quitter ses sept années, en guise de protestation, tout en continuant à grandir, contrairement au héros du Tambour.

Que raconte donc Garage Molinari? Pas grand-chose, en fait. Rien que la vie qui passe, les efforts de Jérôme, désormais chauffeur d’autobus scolaire, pour former une famille «synthétique» avec Jules et sa chère Joëlle, ainsi que leurs tentatives pour porter secours aux éclopés du quartier. Dans ce monde tout pétri de tendresse, où les croque-morts sont clowns à temps partiel, «la vie est injuste», certes, mais les gens sont généralement bons. Témoins, les membres de la famille élargie de Jérôme, à commencer par le patron croyant, Molinari, malgré son incompétence pour le bonheur. Un vieux voisin, monsieur Garcia, a su transformer une vie de malheur en bel optimisme. Dans l’oreille de Humph, d’une étonnante gentillesse sous sa gueule de dur, les sons de crécelle deviennent exquise musique. L’art de faire du bon avec du mauvais, ce qui est aussi le parti pris de l’auteur.
D’entrée de jeu, Jean-François Beauchemin nous avertit que la réalité subit d’«importants travaux de rénovation» sous sa plume. Il a construit là un univers gentil, joli, très lisse, doucement anthropomorphique: les animaux (des oiseaux aux chiens, en passant par les souris et les crapauds) participent pleinement au décor, à la vie, à l’action du roman, appelant des parallèles avec les humains. La nature, le bruit du monde, ça console tout de même un peu des sales coups de l’existence, quand on ne croit pas en Dieu, comme Jérôme.

À la longue, on peut trouver franchement trop mignon, trop rose ce monde enjolivé. Mais impossible de ne pas reconnaître que Garage Molinari a tout le charme de la peinture naïve – dont il pourrait être un équivalent littéraire -, que l’auteur tient son pari jusqu’au bout et qu’il fait souvent sourire par ses petites trouvailles («peut-être que le bonheur c’est un museau qui vient de temps à autre chatouiller le mollet des gens»).

Un rappel du petit bonheur de tous les jours, auquel il faut savoir être attentif, de peur qu’il ne nous file entre les doigts….

Garage Molinari,
de Jean-François Beauchemin
Éditions Québec Amérique
1999, 259 pages