Ann-Marie MacDonald : L'île aux trésors
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Ann-Marie MacDonald : L’île aux trésors

Voici enfin le roman d’ANN-MARIE MACDONALD traduit en français: Un parfum de cèdre. Ce premier livre couronné de nombreux prix et louangé par la critique nous fait découvrir la littérature canadienne-anglaise, que l’on connaît bien mal, et une auteure à la recherche de ses racines.

Heureux ceux qui ont du temps pour lire. Assez de temps pour «partir», dans une histoire, exactement comme on part en voyage. Et revenir avec des images, des souvenirs, et l’impression d’avoir découvert un nouveau monde. Première oeuvre romanesque d’une dramaturge et comédienne (elle était du film de Patricia Rozema, I’ve Heard the Mermaids Singing) qui vit à Toronto depuis une vingtaine d’années, Un parfum de cèdre est un de ces romans qui nous invitent au voyage. Un livre au long cours (près de 600 pages) qui nous fait traverser le temps et l’espace, qui nous mène au début du siècle, sur l’Île du Cap-Breton, puis dans le New York de l’après-guerre, de l’heure de gloire du jazz jusqu’à son déclin. En suivant le destin de la famille Piper, on songe à l’univers peuplé de fantômes de Beloved, de Toni Morrisson, à la littérature anglaise du XVIIIe siècle, aux soeurs Brontë, à Jane Eyre. On pense aussi à E. Annie Proulx, car nous découvrons l’île du Cap-Breton, dans ce roman admirablement traduit (au Québec, victoire! par Lori St-Martin et Paul Gagné), tout comme nous découvrions Terre-Neuve dans Noeuds et Dénouement.

Née dans l’ex-Allemagne de l’Ouest, d’un père écossais qui faisait carrière dans l’armée, et d’une mère libanaise, Ann-Marie MacDonald a grandi, avec ses deux soeurs et son frère, dans une famille où l’on parlait anglais, mais chantait parfois en arabe; une famille puissamment catholique, où l’on voyageait beaucoup, où l’on changeait souvent de maison. «Mes parents avaient leurs racines sur l’île du Cap-Breton, c’était leur "home town";c’était, pour eux, un pays avec des mémoires authentiques, celles de leurs enfances. Mais nous, nous n’avions pas de racines. Nos racines étaient nos souvenirs, nos mémoires. Nous déménagions tous les trois ou quatre ans, nous disions chaque fois au revoir à la maison, pour nous, c’était devenu quelque chose de normal. Et ce mélange de peine et de joie que l’on ressent quand on doit laisser quelque chose du passé pour aller vers quelque chose de neuf, pour embrasser une nouvelle vie, revienst, je crois, dans tout ce que j’écris.»

Le ciel est bleu
Pour écrire l’histoire d’Un parfum de cèdre, la dramaturge (auteure, entre autres, de Goodnight Desdemona (Good Morning Juliet), Prix du Gouverneur général en 1990) a donc emprunté au passé de ses parents, à leur enfance sur l’île du Cap-Breton, «ce lieu obscur, pour bien des gens, mais qui, pour nous, était une île bénie de mythes et de légendes, une île que mes parents appelaient le pays de Dieu».

C’est là que toute cette histoire, qui devait au départ être une pièce de théâtre, a pris racine. «Tout a commencé par une image, raconte l’auteure. Je voyais trois personnages, trois soeurs. Elles m’apparaissaient comme des saintes dans une église catholique, portant chacune dans ses mains l’emblème de leur martyre. Lilly avait une béquille; Frances, un soulier rouge à talon haut; Mercedes, une natte, coupée, dans la main. Cette image-là, très forte, était pour moi un mystère. Je voulais savoir qui étaient ces filles, et j’ai vraiment suivi mes personnages. Tout a découlé de là. C’était comme le fil d’Ariane. Il fallait les suivre, découvrir l’histoire, ne rien imposer.»

Un parfum de cèdre serait donc l’histoire de Lilly, de Frances et de Mercedes; mais aussi de leur mère, Materia, aux origines lointaines; de leur grande soeur, Kathleen, une beauté à la voix d’ange que leur père, James, vénère. Ce serait l’histoire de cette famille unie par les secrets, les tragédies, l’amour impardonnable du père, et leurs croyances en Dieu, le Diable, les saints, les anges, le Paradis et le Purgatoire. «La religion catholique a été très présente tout au long de mon enfance, raconte l’auteure. On lisait des Vies de saints, ces petits livres avec des illustrations effrayantes, violentes, excitantes, sexy! C’était terrifiant, mais j’adorais être terrifiée. Aujourd’hui, je ne pratique plus, mais ça a marqué mon enfance. Et j’ai puisé mon inspiration dans les éléments du catholicisme qui me semblaient les plus précieux. J’aime cette religion dans tout ce qu’elle a de païen, de non officiel. En dépit de tout le paternalisme qui entoure la religion catholique, il y a des aspects que je trouve magnifiques, et l’idée de rédemption en est un.»

Dans la famille imaginée par MacDonald, il y a celle qui se sacrifie, celle qui rachète les péchés des autres, celle qui offre son corps pour sauver, sinon l’humanité, tout au moins sa famille. Il y a aussi celle qui ne connaît pas le doute, ni le remords ni le péché, et qui découvre l’amour dans les bras d’une femme noire, dans une scène magnifique («que j’ai trouvée difficile à écrire! Nous n’avons pas les mots, pour ça, nous avons des mots pornographiques, ou romantiques, mais comment peindre une scène à la fois sensuelle, sexuelle et romantique?»). Dans l’histoire de cette famille à la généalogie complexe, qui forme un tout, et qui est vraiment, dans son ensemble, le personnage central du roman, il y a de petits anges gardiens, des fantômes qui attendent, dans les limbes, des êtres bons, torturés, et des pécheurs. Un parfum de cèdre parle de racines, c’est vrai, mais pas de celles qui émergent à la surface du sol. Des plus fines, des plus enchevêtrées, des plus ramifiées, celles qui plongent au plus noir de la terre.

Le pouvoir de la vérité
En écrivant Fall on Your Knees, titre original du livre, la dramaturge découvrait l’enivrante liberté que confère le roman, enfin allégée des restrictions quant au nombre de personnages ou aux coûts de production. «C’était très, très excitant, raconte-t-elle. J’étais comme une ivrogne dans une cave à vins. Je ne pouvais plus m’arrêter. C’était comme si j’étais partie en voyage autour du monde, j’avançais, en me demandant: how big is this planet?, en souhaitant que la Terre soit vraiment ronde, et en espérant que je finirais par arriver, par revenir au point de départ.»

Depuis sa parution en anglais, en 1996, Un parfum de cèdre a été traduit dans une quinzaine de langues, a reçu des prix, dont le Prix du Commonwealth du meilleur premier roman, et d’innombrables louanges de la part des plus éminents critiques. MacDonald aura mis trois ans à sortir de l’ombre du premier roman avant de véritablement plonger dans le second. «L’histoire se situera à une autre époque, celle de la guerre froide, les personnages seront très différents, mais les lecteurs pourront percevoir des thèmes qui reviennent. Les questions de langue, d’identité, de diversité, de minorité, je n’ai pas fini d’en parler. Tout comme je continuerai de me préoccuper de ce qui sépare le monde, secret, de l’enfance, et de celui, public, des adultes. Et de cette idée, aussi, que la vérité est quelque chose qui cherchera toujours à sortir. On peut essayer de préserver les gens de la vérité, mais elle se fraie toujours un chemin, comme les racines, comme les tiges des plantes qui cherchent la lumière.»

Un parfum de cèdre
d’Ann-Marie MacDonald
Éd. Flammarion/Québec, 1999, 575 p.