Benoît Duteurtre : États critiques
Soutenu par Milan Kundera, poussé vers l’écriture par Samuel Beckett (disparu en 1989), BENOÎT DUTEURTRE a bénéficié d’appuis de taille depuis qu’il est entré dans le paysage littéraire français, il y a déjà une dizaine d’années. Et son plus récent roman, paru au printemps dernier, Les Malentendus, sera bientôt adapté au cinéma. Avant de débarquer à Montréal pour un court séjour, nous l’avons joint à Paris.
Dans le sillon de Michel Houellebecq, Benoît Duteurtre fait partie de cette génération de jeunes écrivains qui mettent en scène les travers tragi-comiques de la société contemporaine. Et, bien sûr, la tempête médiatique qui a entouré la parution des Particules élémentaires de Houellebecq en France, l’an dernier, a mis en lumière le travail d’un écrivain comme Duteurtre. «Pourtant, je suis ma voie depuis un bout de temps, de constater Duteurtre. En 1991, Tout doit disparaître posait un regard très critique sur la société et le monde du journalisme, tout en étant une comédie, dans un esprit pas tellement éloigné de ce que fait Houellebecq. On était quelques-uns à travailler dans cette voie-là. Le succès de Michel a simplement donné une légitimité à cette démarche. Mais il a également révélé le côté inquisiteur, l’esprit du procès politique, très présent dans les milieux de l’art et de la critique, qui sont, en France, exactement comme sous Staline, toujours prêts à attaquer un auteur pour ses prises de position. On fabrique beaucoup de scandales chez nous, mais je ne crois pas que ce fut "fabriqué" autour de Houellebecq. C’est un grand talent, et c’était dans l’air depuis Extension du domaine de la lutte, son précédent roman. Dans le cas de Christine Angot, par qui le scandale arrive cette année, je crois que c’est fabriqué et que ce n’est pas un écrivain intéressant.»
écrire au présent
Benoît Duteurtre n’a pas la langue dans sa poche. Et il a des tribunes: presse écrite, radio… On peut donc l’entendre chaque semaine, sur les ondes de France-Musique, où il reçoit des invités de différents milieux culturels pour parler, entre autres, d’opérette. Parce que le journaliste Duteurtre est spécialisé en musique. Il signe régulièrement un papier dans l’hebdomadaire Marianne, un journal pour lequel il ne tarit pas d’éloges. «Je m’amuse vraiment. C’est un journal très sympathique. À la fois "de gauche", mais, en même temps, libre, qui ne véhicule pas tous les clichés bien-pensants, sans être trop coincé dans un langage politiquement correct.»
Les clivages politiques sont d’ailleurs au coeur de ces Malentendus où se retrouvent, un peu malgré eux, un étudiant de gauche, une jeune femme de droite, un immigré clandestin, un handicapé homosexuel. Du reste, la genèse du roman prend sa source directement dans l’actualité. «Il y avait d’immenses manifestations lycéennes à Paris, pour réclamer de meilleures conditions dans l’enseignement. Il y a eu également des descentes de bandes des banlieues, qui ont commencé à racketter ces lycéens et à foutre la merde dans les manifs. C’étaient des scènes tragi-comiques extraordinaires. Tous ces jeunes lycéens antiracistes se mettaient à pleurer, parce qu’ils auraient voulu être du même bord que les jeunes immigrés. Mais ils n’arrivaient pas à parler avec eux. Parce que c’est un vrai problème social, un problème de classe, pas un problème de morale. En France aujourd’hui, on veut toujours tout réduire à un problème de morale. Mais parler de ce genre de problème, sans voir qu’il y a une réalité sociale derrière, ça ne sert à rien.»
Évidemment, en France, dès qu’un écrivain touche à la question politique, il s’expose aux foudres des médias qui, davantage qu’ici, sont les porte-parole des forces politiques partisanes. Alors, dans un roman, quand on s’intéresse à la bonne conscience de la gauche dans les milieux progressistes, à la question de l’immigration, des problèmes de ghetto, de la violence que ça entraîne, on ne laisse personne indifférent.
Et même si la problématique est calquée sur l’expérience parisienne, elle peut avoir une portée davantage universelle, à tout le moins occidentale, tellement la question de l’immigration est épineuse dans la plupart des pays industrialisés. Mais, inévitablement, ça soulève la controverse. «Bien sûr, de convenir Duteurtre, parce que c’est un sujet politique. Je ne le traite pas d’un point de vue politique, mais ça rejoint des débats politiques. Et comme j’aime toujours bien prendre le contre-pied, c’est vrai que cette critique de la situation sociale de l’immigration est un sujet dangereux, qui peut être récupéré facilement par la droite réactionnaire, l’extrême droite…»
Il ne faut pas croire pour autant que Duteurtre nous serve un roman à thèse où il nous faudrait connaître tous les dessous pour nous y retrouver. Tout simplement parce que l’auteur a un parti pris pour la séduction, la simplicité, la fluidité. C’est un choix esthétique. «Moi, j’ai toujours eu un goût dans l’art pour tout ce qui a un accès très simple, d’avouer Duteurtre. Ça ne veut pas dire que ce sont des choses simples à faire. C’est Debussy qui a dit: Il faut que la musique nous donne une jouissance immédiate. Ça ne veut pas dire que Debussy fasse une musique simpliste pour ça. Et c’est pareil pour les romans. J’ai toujours trouvé ça rasant les romans où l’on doit faire un effort pendant cinquante pages pour commencer à y trouver quelque chose. J’ai beaucoup d’admiration pour les écrivains qui arrivent à être séduisants dès la première page. J’aime bien une écriture qui te prend tout de suite, sans effort apparent, qui te conduit là où elle veut, mais qui a l’air d’abolir tout effort. Mais ça nécessite un travail minutieux pour arriver à ça. C’est comme Mozart, c’est naturel, tellement bien fait, que tu ne t’aperçois plus que c’est très élaboré, subtil. C’est un peu un modèle, en art, pour moi.»
De fait, la partition des Malentendus a des allures d’opérette. C’est joyeux et loufoque, tout en posant des questions sérieuses.y
Les Malentendus
Éd. Gallimard, 1999, 140 p.