Pierre Samson : La passion selon Samson
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Pierre Samson : La passion selon Samson

PIERRE SAMSON est l’auteur d’Il était une fois une ville, troisième roman qui se déroule dans un Brésil à la fois vrai et complètement imaginé. Déjà finaliste aux Prix du Gouverneur général, Samson nous parle de littérature mais aussi de télévision, lui qui travaille dans ce domaine depuis plusieurs  années.

Dans un petit café de la rue Saint-Denis, le Samson aux cheveux courts dépose sa selle de vélo, et, frais comme un lys, raconte ses aventures d’écrivain. Révélé par Le Messie de Bélem en 1996, roman qui fut très bien accueilli, Pierre Samson a aussi publié Un garçon de compagnie; il clôt ce «cycle brésilien» avec un troisième volet, Il était une fois une ville. Journaliste, scripteur, recherchiste (il est de l’émission J’aime, animée par Jean Fugère, et diffusée à Télé-Québec), Samson roule sa bosse depuis dix ans dans le milieu des communications, et plus particulièrement dans celui de la télé. Le bonheur n’y est pas, visiblement, puisqu’il préfère la démarche singulière de l’écriture, et sa liberté d’écrivain qu’il exerce depuis ses tout débuts.

Cette trilogie, l’avez-vous conçue ainsi depuis la parution de votre premier roman, ou si c’est un hasard que vos trois livres portent sur le Brésil?
Non, ce n’est pas un hasard. Je m’étais donné un défi: je voulais me placer en déséquilibre, essayer d’aller au bout de quelque chose, d’une idée, d’un but. Mais j’ai voulu m’arrêter à trois, parce que je ne voulais pas donner dans la fibre latino… Pour moi, la littérature n’est pas nécessairement un territoire où il faut se sentir à l’aise et confortable, prendre des habitudes.

Pourquoi choisir une ville comme personnage de roman?
Pour moi, le lieu définit toute la structure du roman. Le Brésil est une société anarchique, où tout est possible… et en même temps impossible! Tout dépend du point de vue où l’on se place. Cela crée une narration plus brisée, avec des ruptures, alors que le roman sur lequel je travaille actuellement est différent: il se passe à Montréal, et cette ville me suggère une narration beaucoup plus linéaire, mais m’inspire énormément par ailleurs.

Comment percevez-vous Montréal?
Premièrement, je me considère comme un écrivain tout à fait montréalais. Cette grisaille de Montréal est l’un de ses charmes. Cela représente pour moi la réflexion et la présence de l’histoire. Je pourrais passer des heures à regarder les immeubles, la pierre, les corniches.

Je pars toujours des lieux pour écrire. J’essaie de voir ce qu’ils m’inspirent, quelle sorte d’histoire ils me donnent envie de raconter. Mais il n’est pas nécessaire d’y être physiquement. Quand j’ai commencé à écrire sur Ouro Prêto, la ville dont il est question dans ce troisième roman, j’ai d’abord lu sur la ville, et franchement, c’est suffisant pour écrire. Mais j’y suis allé quand même!…

Est-ce qu’il y a une correspondance entre le désordre dont vous avez été spectateur au Brésil et ce que vous écrivez?
Oui, mais il est surprenant de voir que dans un pays comme le Brésil, qui est effectivement chaotique, il y a beaucoup de rituels qui «organisent» la vie. Bien sûr, dans tout cet étonnement, cette découverte, il fallait que je fasse attention de ne pas me perdre dans le folklore, parce que quand je suis allé là-bas, j’ai bien vu que j’avais des conceptions toutes faites sur le Brésil.

Ils sont cent soixante millions, et ils lisent beaucoup; ils ont une production culturelle très forte, qui est loin de répondre aux stéréotypes que l’on connaît ici. Il faut faire attention et ne pas priver les pays du Sud de leur droit à la modernité. Je me suis donc relu très souvent, près de soixante fois, pour faire attention à ça.

Quelle place occupe l’écriture dans votre vie?
C’est d’abord pour moi un travail. Qui peut même parfois être désagréable. On écrit et on repasse toujours sur notre texte, en tout cas moi. Je n’arrête pas de me relire. Je ne trouve pas cela très facile, et oui, ça peut être à la limite déplaisant. Personnellement, la dimension «défoulement» n’est pas très présente dans mon écriture. Je prends ça comme un travail qui est toujours perfectible, qui peut toujours s’améliorer. Comme la lecture d’ailleurs.

Que voulez-vous dire?
Quand je veux m’amuser, je fais du sport, ou je regarde la télévision, mais je ne lis pas. La lecture, c’est une épreuve, une provocation. À l’adolescence, j’ai découvert une littérature développée, complexe, et j’ai voulu savoir comment ça se fabriquait. Comment on écrit, comment marche la littérature. Et j’adore me sentir sollicité comme lecteur par un texte. S’il y a une chose que je n’aime pas, c’est me sentir comme une grosse pâte molle. Des fois on me dit: "Pierre, ce n’est pas facile ce que tu fais…", eh bien tant pis. J’ai quand même des lecteurs, et j’ai un travail qui me permet d’écrire comme je l’entends.

Je trouve qu’une grande partie de la littérature d’aujourd’hui est littéralement télévisuelle. Avant, c’était le «littéraire» qui prédominait: le meilleur exemple est sans doute le cas des dramatiques de Françoise Loranger ou encore de Victor-Lévy Beaulieu. Il y a une dimension proprement littéraire à leur oeuvre. Aujourd’hui, c’est totalement inversé: en fait, c’est dans la littérature qu’il y a une dimension télévisuelle. Et pire: les gens recherchent maintenant cette dimension dans les livres qu’ils achètent!

Comment cela se traduit-il dans la littérature dont vous parlez?
Les bonnes intentions, par exemple. La télé est souvent lieu de consensus, et de bons sentiments: on retrouve donc une littérature pleine de bonnes intentions. L’action aussi est un élément présent dans la littérature: si vous faites trop de descriptions, on vous le fait remarquer. Pourtant, ce n’est pas un défaut à ce que je sache. Et je ne parle pas de la réflexion qui laisse place à la démonstration, ce qui évacue complètement l’aspect «risque» de la littérature. Et cela se corse avec l’omniprésence du «moi», du human interest, qui se retrouve partout, dans la télé et dans les livres… Cela donne une forte présence de la langue orale dans les romans: en fait, aujourd’hui, on parle de la même manière dans la littérature qu’à la télévision. J’ai lu beaucoup de romans québécois au cours de la dernière année, et j’ai été surpris de voir à quel point la télé, sur le plan de la structure, du contenu, du vocabulaire, influence notre littérature.

Mais est-ce que la littérature n’a pas toujours été imprégnée des outils de communication qu’il y avait autour d’elle? Émile Zola, par exemple, ne s’est-il pas servi du journal pour faire connaître la littérature?
Bien sûr. Mais il y avait une «posture» littéraire: malgré le fait que c’était une production de masse, il y avait une recherche du langage, un souci didactique, chose qu’on fait trop rarement à la télévision, où ce sont les questions de rentabilité qui dominent. On se permet de produire des émissions insignifiantes pour faire des sous. Ce n’est pas une posture artistique mais purement, strictement commerciale.


Il était une fois une ville
de Pierre Samson
Révélé par Le Messie de Belém en 1996, un roman de la passion dans un Brésil imaginé plus vrai que nature, Pierre Samson publiait l’année suivante Un garçon de compagnie, deuxième volet d’une trilogie brésilienne. Voici qu’il clôt ce cycle avec une oeuvre ambitieuse, par sa structure narrative et son ampleur, Il était une fois une ville, oeuvre profonde, douloureuse, où la mémoire d’un passé troublé va rattraper un homme de façon implacable. Encore une fois, violence, passion et sensualité sont au rendez-vous, au coeur d’une métaphore religieuse, chemin de croix dans les méandres d’une ville-personnage.

De prime abord déroutant par sa facture, ce roman, différent des deux premiers, où l’on s’attachait aux pas des personnages pris dans l’action, se caractérise par une architecture complexe aux multiples narrateurs. À commencer par cette ville, Ouro Prêto, cité coloniale aux nombreuses églises, d’attrait touristique, mais où le héros, Roberto do Nascimento, a vécu des événements marquants alors qu’il y était étudiant. Cela se passait en 1973, et vingt-cinq plus tard, en 1998, devenu journaliste à São Paulo, il y revient en mission. Pour son plus grand malheur. «Oui, je t’accueillerai, amour, en plantant mes ongles dans ton coeur, j’écorcherai jusqu’à ton âme et tu m’adoreras de nouveau, je te noierai dans ta bave et ton sang, je t’étriperai comme seule une amante sait le faire et tu seras mien, tu seras rien, et tu te traîneras jusqu’à l’église Sainte-Éphigénie, tu déchireras tes chairs sur mes bubons de pierre, tu passeras la porte que tu n’avais jamais osé approcher, tu te hisseras au bain des esclaves et tu y tremperas les lèvres, tu boiras la sueur des sacrifiés et tu crieras Son nom. Et alors, le miracle aura lieu. Je te le jure.»

C’est la ville qui s’adresse ainsi à lui, et beaucoup d’autres prendront la parole à sa suite. Ramon, un jeune garçon qui vit du désir interdit pour João, étudiant comme lui; puis Nescafé, troublant double féminin qui vit à l’intérieur de Roberto et qui peu à peu prendra toute la place. Et puis, l’un après l’autre, des habitants de la ville croisés sur le chemin de la mémoire du héros. Petit à petit, pièce par pièce, le puzzle de l’indicible, du tabou, de la trahison se dessine. Que s’est-il passé en 1973? Les témoins se souviennent, les langues se délient, le coupable, rongé de remords, devra expier ses fautes.

Symboliquement, les retrouvailles de Roberto avec son passé, et avec Luiza, la révolutionnaire terroriste dont il s’était épris dans sa jeunesse, se feront par étapes, au fil de ses pèlerinages dans les églises d’Ouro Prêto.

Bien que son écriture soit toujours d’une tenue sans faille, Pierre Samson se perd, et perdra sans doute les lecteurs, dans des descriptions détaillées de nefs, de plafonds ouvragés, de colonnes et de statues de saints qui semblent n’avoir pour objet que de retarder le dénouement. L’univers qu’il dépeint, les êtres de chair qui l’habitent, l’intrigue politico-amoureuse qui s’y déploie, parsemée de scènes aux aspects saisissants, ressortent tout de même avec force. Éd. Les Herbes rouges, 1999, 300 p.
(Raymond Bertin)