Pauline Julien-La vie à mortLouise Desjardins : De l'autre du côté du miroir
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Pauline Julien-La vie à mortLouise Desjardins : De l’autre du côté du miroir

Il n’y a pas plus périlleux exercice que d’écrire une biographie alors que les cendres du défunt sont encore chaudes, et ses proches, toujours vivants. Il faut y aller en douceur, effleurer les secrets sans les déflorer, ménager les uns et les autres, tout en étant fidèle à la mémoire de l’être disparu.

Avec sa biographie d’une chanteuse phare de l’histoire récente du Québec, Pauline Julien – la Vie à mort, la poète et romancière Louise Desjardins (La Love et Darling) a relevé le défi avec honnêteté, sobriété et intelligence. En s’effaçant peut-être trop, cependant, devant son sujet.

Il faut dire que la biographie en question avait été entreprise du vivant de la chanteuse, qui souhaitait y collaborer. Des heures d’entretien que lui a accordées Pauline Julien, la biographe a retenu relativement peu de choses. Trois jours avant de se donner la mort, le 1er octobre 1998, celle qui fut tour à tour diseuse rive gauche à Paris dans les années 50, puis pasionaria de l’Indépendance du Québec et de la cause des femmes dans les années 70-80, la compagne et épouse du député-poète Gérald Godin, a légué à Louise Desjardins les carnets d’un journal intime qu’elle avait tenu entre 1960 et 1996.

En plongeant dans cette véritable mine d’or, la romancière a découvert la face cachée de son sujet: Julien s’y révèle, de façon contradictoire par rapport à l’image publique qu’on connaissait, dans toute sa fragilité. Vivant dans l’insécurité permanente, doutant de ses propres capacités, cherchant sa place dans le monde, même au moment de ses plus grands succès, se culpabilisant de l’amour insuffisant accordé aux siens, cette femme, dès sa jeunesse et jusqu’à la fin, alors que la maladie lui enlevait tous ses moyens, n’a cessé de penser au suicide.

«Ceux qui m’entourent, pas tous, ceux à qui j’épargne mes débats les plus profonds, donc les autres croient me voir comme une fille énergique, décidée, prête à jouir, et à l’instant. Et moi seule peux savoir les tonnes d’inertie qu’il me faut remuer, soulever avant le moindre geste, et la moindre décision. (.) Je constate combien mon esprit n’a pas de vivacité, que les larmes sont prêtes à couler, et que je ne sais plus rien», écrivait Pauline Julien en 1961.

Ce genre de complainte intime qui montre bien ses déchirements intérieurs n’est pas l’épanchement passager dû à un moment de dépression, mais revient au fil des décennies comme une obsession. Et cela alors même que la chanteuse bâtit sa carrière, se partageant entre le Québec et l’Europe, puis le Canada anglais, récoltant les succès, quelques prix et les ovations d’un public de plus en plus nombreux. Par ses prises de position politiques – refus de chanter devant la reine Élisabeth en 1964, cri de «Vive le Québec libre!» au Niger en 1969, engagement à gauche, tournées en Russie, emprisonnement durant la Crise d’octobre 1970 – et par sa fougue sur scène, Pauline Julien fut à une époque une figure de proue nationale.

Elle fonçait, défonçait les portes fermées, cassait les images rassurantes. Son militantisme féministe n’était que la suite logique de sa personnalité de femme engageante et engagée. Ce versant angoissé d’elle-même, tel que révélé par son journal, bien que perceptible à qui la côtoyait, affleurait rarement au grand jour. Le public, à tout le moins, n’y avait pas accès. Or, voici qu’il prend beaucoup de place dans cette première biographie. Louise Desjardins, dont le travail de recherche est impeccable, livre en parallèle à de nombreux et larges extraits du journal toutes les dates, les lieux, les événements qui ont jalonné la vie et la carrière de Pauline Julien. Elle a aussi interrogé des proches, des amis, des collaborateurs,
témoins d’une étape ou l’autre de son parcours. Cependant, on peut ressentir une sorte de malaise à la lecture de Pauline Julien – la Vie à mort. L’impression que la passion de la vie qui animait cette grande artiste n’est pas suffisamment mise en valeur, comme occultée par sa fin. Une fin appréhendée peut-être, mais doit-elle à ce point colorer tout le reste?

Pauline Julien – la Vie à mort
Éd. Leméac, 1999, 440 pages