Robertson Davies : Lire et écrire
Quand un grand écrivain comme Robertson Davies (1913-1995) se prononce sur la littérature, on prend le temps d’écouter. Lire et écrire présente deux conférences qu’a prononcées Davies aux États-Unis, vers la fin de sa carrière de professeur, soit au tournant des années 90. Dans ces deux conférences, Davies, qui fut romancier, dramaturge, et ensuite professeur et journaliste (il fut durant 20 ans rédacteur en chef du quotidien The Examiner, de Peterborough), discute de la place de la littérature et de la langue dans la vie des individus et dans celle des sociétés. Citant une étude sur l’alphabétisation en Occident, il souligne avec ironie que sur 24 pays, les Américains étaient au 24e rang, et le Canada, au 23e… Non pas que les Nord-Américains soient illettrés, mais disons que lire et écrire ne sont pas les activités les plus populaires sur le continent. «Chez vous, ces observations ont provoqué un tumulte bien compréhensible, et des enquêtes plus poussées ont révélé que, tous les ans, près d’un million de jeunes diplômés des écoles secondaires américaines n’atteignent pas le niveau de lecture qu’on attend d’un enfant de onze ans.»
Davies livre tout cela sur un ton goguenard, et ne fait pas la morale. Il constate. Et, du haut de ses 70 et quelques années, l’écrivain fait remarquer à ses auditeurs/lecteurs que pendant que l’on se gargarise des réussites de l’élite économique, on méprise allègrement l’élite intellectuelle du même pays. Ces critiques ne pourraient-elles pas s’appliquer au Canada et au Québec? Sûrement.
Mais, d’où vient cette peur de l’élite? «Votre pays n’a jamais eu de scrupule à faire savoir qu’il mène le monde dans certains domaines. Vous ne proclamez pas que le niveau de vie moyen, chez vous, devrait correspondre à celui des citoyens les plus humbles. Vous n’étouffez pas la recherche sous prétexte que quelques pays moins heureux pourraient se sentir laissés pour compte et protester que vos scientifiques sont élitistes. (…) Mais pour ce qui est de l’intellect, vous voilà étrangement réticents à vous affirmer.»
Dans son texte sur l’écriture, Robertson Davies se raconte davantage et évoque ses débuts d’écrivain, prenant pour prétexte les nombreux conseils que viennent chercher auprès de lui ses étudiants. Travailler parallèlement à ses activités créatrices, suggère-t-il, permet de ne pas s’isoler, et d’éviter le piège du narcissisme. «Le pire qui puisse arriver à un écrivain, c’est de se concentrer sur lui-même et son travail au point de ne plus connaître personne, sinon d’autres écrivains; alors, il en est réduit au désespoir littéraire d’écrire un livre sur un homme qui écrit un livre, et quand il en arrive à cette extrémité, on sait qu’il est fini.» Éd. Leméac, 1999, 79 p.