Hélène Desjardins : Suspects
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Hélène Desjardins : Suspects

Il y en a plusieurs, des suspects, dans ce premier roman assez réussi d’Hélène Desjardins, qui parvient à maintenir le lecteur dans le noir jusqu’au bout. Il faut dire que ce petit polar tordu, mordant, où les relations humaines, et surtout familiales, en prennent pour leur rhume, privilégie un ton léger, humoristique, qui ne s’embarrasse pas forcément de vraisemblance. Divertissant.

La singularité de Suspects est de miser sur un kaléidoscope de points de vue: chacun des personnages impliqués dans l’enquête y livre sa version. L’intrigue chemine ainsi, à coups de monologues, soit en s’adressant à l’un des policiers, soit directement au lecteur.
Le roman est porté par la personnalité forte, cassante, cynique, de Rita Ducharme, une danseuse topless de 22 ans, qui a du chien. En rentrant chez elle après le «boulot», la belle découvre le cadavre de son amant, Jeff. Sans émotion. Rita est claire là-dessus: Jeff «rendait mes nuits agréables. Ni plus ni moins». Reste que l’enquête suit son cours. Et que le jeune policier, jeté par l’inspecteur Mauriac dans les pattes de Rita, question de provoquer ses confidences, fait du zèle: il tombe follement amoureux de cette femme fatale (mais fatale jusqu’à quel point?).

Abusée par son père alcoolo, rejetée par sa mère et par tout son village natal à cause du parfum de scandale, enviée par son «amie» Charlotte, qui rêve d’être Rita à la place de Rita, celle-ci professe son mépris pour à peu près tous ceux qui l’entourent, manipule les gens et traite ses amants comme de vulgaires «pourvoyeurs d’orgasmes».

De construction plutôt habile, Suspects joue sur un flash-back en seconde partie, ce qui donne de l’épaisseur au livre et élargit la palette des suspects. Malheureusement, tous les personnages n’ont pas la consistance, la complexité ou la force de Rita. Alors que ses monologues à elles sont vivants, cinglants, la voix que certains laissent entendre paraît banale, fade, en comparaison. Celle des deux inspecteurs, notamment.

Dommage aussi que l’explication psycho-pop finale, en forme de rédemption, adoucisse la protagoniste, dont le côté frondeur, insensible, la rugosité grossière, faisaient tout le charme paradoxal. Car, sans vouloir déflorer l’intrigue, voilà un univers jusque-là très peu fleur bleue, où la vengeance est douce au coeur des femmes… Éd. La courte échelle, 1999, 159 p.