Nathalie Sarraute1900-1999 : Vie et mort de Nathalie
Le plus réservé des monuments littéraires français du XXe siècle est disparu. Nathalie Sarraute est morte à Paris, le 19 octobre dernier, à l’âge de 99 ans. Née en Russie, le 18 juillet 1900, elle aura traversé le siècle en laissant une trace indélébile, mais discrète, sur la littérature moderne.
Son premier livre paraît alors qu’elle approche de la quarantaine. Tropismes (1938), un recueil de textes où l’écriture fouille, au microscope, les gestes, les paroles, les sentiments de personnages improbables, ne suscite sur le coup qu’une certaine indifférence. On est passé à côté d’un livre important, déterminant. Ce n’est qu’avec la publication d’un essai sur l’écriture romanesque, L’Ère du soupçon, en 1947, qu’on se référera à la théorie de Sarraute, qui revendique un récit sans personnages et sans intrigues, où le langage dissèque le réel pour observer les entrailles de l’infiniment petit. Ce qui jettera les bases du mouvement du nouveau roman, cette école du regard, qui s’articulera autour d’Alain Robbe-Grillet, Samuel Beckett, Claude Simon, Michel Butor…
Mais Sarraute refuse de materner le groupuscule, réuni au sein de l’écurie des Éditions de Minuit, pour se consacrer, loin des polémiques, des mondanités et des modes littéraires, à l’édification d’une oeuvre vouée à exprimer ce désir de nommer l’indicible. Les romans Martereau (1953), Le Planétarium (1959) et Les Fruits d’or (1963) imposent une voix unique, un ton, un rythme. Pas étonnant qu’elle ait ensuite écrit aussi pour le théâtre.
J’aurai eu le privilège, dans mon parcours de journaliste, d’interviewer l’écrivain qui représentait pour moi l’absolu de l’écriture. Cet entretien avec Nathalie Sarraute, il y a un peu moins de deux ans, lors de la sortie de son dernier roman, Ouvrez, m’intimidait, m’excitait. Dès mes premiers balbutiements, elle m’a appelé son «petit bonhomme»; et du haut de ses 97 ans, elle m’a invité à la visiter quand j’irais à Paris. Tout comme elle s’évertuait, dans ses livres, à nommer les choses le plus précisément possible, elle voulait me livrer, avec la justesse la plus pointue, ses réponses à mes questions. Sur le sens de l’écriture, elle m’avait lâché, de sa voix tremblotante, inquiète, fatiguée mais pas vieille: «Vous êtes chaque fois devant une substance qui vous paraît ne pas encore avoir été prise dans du langage. C’est là tout l’intérêt d’écrire. Quelque chose de nouveau, de différent. Quelque chose qui semble n’avoir encore jamais été exprimé.»
Il y a deux ans, je lui parlais alors qu’elle était assise sur son lit, avec ses cahiers et ses stylos Bic. Et elle écrivait. Encore. Et elle venait sans doute d’écrire, encore, juste avant de mourir. J’espère bien qu’on pourra lire ses dernières lignes. En attendant, j’ai le goût de retraverser cette oeuvre qui nous chuchote, sans prétention, sans mesquinerie, des petites perles de vérité à l’oreille.
Nathalie Sarraute
oeuvres complètes
Bibliothèque de la Pléiade
1996
Ouvrez
Éd. Gallimard
1997