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Nouvelle d’Halloween : Le grand ménage

La plupart du temps, je vais plutôt bien. Surtout avec les petites pilules blanches du docteur Morin. Le monde n’est pas plus beau pour autant, c’est juste que je choisis de regarder ailleurs quand tout un chacun essaie de m’imposer sa petite merde.

Mais depuis une semaine, je n’ai plus de petites pilules blanches et ça commence à paraître. J’ai l’impression que tout s’embrouille autour de moi.

S’agit pas d’un problème de vision, non, non, non. J’ai le regard bien aiguisé, trop perçant même. Je vois des choses que les autres ne distinguent pas. Surtout la nuit. Le docteur Morin dit que je suis nyctalope, comme les chats.

S’agit plutôt de ma façon de voir la vie. On dirait que la mémoire me revient, que je n’arrive plus à oublier. C’est un baume pour le cerveau, l’oubli. Sans lui, c’est le bordel qui s’installe à demeure. En ce qui me concerne, les portes sont grandes ouvertes et ça se bouscule pour entrer. Ils sont tous là, dans ma tête, comme des fantômes qui occupent tout l’espace.

Je vous parle de ceux qui me détestent sans le dire, trop lâches pour me faire face directement, toute une bande d’hypocrites qui ont hâte que je lève le camp et qui sont prêts à tout pour que je disparaisse le plus rapidement possible.

Quand j’étais en dedans, ça faisait bien leur affaire. Ils pouvaient dormir tranquilles dans leur petite maison sans craindre de me voir arriver à l’improviste, comme un voleur, par la cour arrière. Je soupçonne qu’il leur est même arrivé de dormir à la belle étoile, l’été dernier. Les nuits étaient si chaudes…

Je mettrais ma main au feu que maintenant qu’ils me savent revenu à la vie, libéré sur parole comme le fier repenti que je suis par une pleine rangée de coincés réunis en commission pour décider de mon sort, mes hypocrites se barricadent dans leurs bunkers de vinyle.

Mais je leur réserve une petite surprise, croyez-moi. Parce que j’ai pas fait sept ans de prison sans jamais rechigner pour que ça en reste là. Oh non! L’heure de la vengeance a sonné.

J’attends ce moment-là depuis tellement longtemps que c’est volontairement que je n’ai pas renouvelé ma prescription de petites pilules blanches. Parce que ça abrutit son homme, cette saloperie-là. Tu en gobes deux chaque matin. C’est gros comme la tête d’une épingle et tu vois la vie en rose le reste de ta journée. De l’or en barre pour un gouvernement. Ton voisin vide ses sacs à ordures sur ta galerie et tu le remercies à genoux. C’est pas humain.
En ce qui me concerne, c’est fini ces niaiseries-là. J’en ai soupé des camisoles de force. J’ai besoin de me libérer. Et attachez vos tuques parce que ça risque de faire mal!

J’ai divisé mes bourreaux en deux catégories: les actifs et les passifs. Parmi les actifs, il y a René, mon beau-frère, le mari de ma soeur Monique. Je vous jure que ces deux-là ensemble, ça vaut pas cher la livre. C’est eux autres qui m’ont dénoncé à la police, il y a sept ans. Ça peut pas être quelqu’un d’autre, ils étaient les seuls à savoir ce qui venait de se passer.

Après avoir assommé mon oncle Robert d’une bonne droite sur le nez dans son logement de la rue Sainte-Thérèse, je me suis réfugié dans leur bungalow de Beauport. Je savais pas que le vieux christ allait en mourir, mais je peux pas dire que j’ai eu de la peine de le voir partir. Il m’a tellement fait faire de cochonneries quand j’étais petit gars qu’il peut bien brûler en enfer jusqu’à la fin des temps. Ça me fait pas un pli de plus sur le scrotum.
Une demi-heure plus tard, la police est venue me chercher. La belle Monique et le grand René s’étaient ouvert la trappe.

Mais à partir d’aujourd’hui, ils ne couillonneront plus personne parce que, ce matin, je leur ai organisé un petit party dans leur boîte à savon de l’avenue Saint-Michel. Rien de très compliqué. Un brin salissant, mais, tout compte fait, c’était assez simple. Au couteau à steak. Ils ont pas eu le temps de me voir venir.

C’est leur maudit chien qui m’a donné du fil à retordre. Il voulait pas mourir, le petit barbet! Je venais de lui couper une oreille et le bout de la queue et il jappait encore. J’ai fini par l’attraper par la gorge comme il faut et il s’est mis à miauler comme un chaton avant de me dire bonsoir.

J’ai laissé Monique et René là où je les avais trouvés, dans la cuisine. Je pouvais pas sortir dans la rue ammanché comme j’étais, avec le sang sur ma chemise et tout. J’ai fouillé dans la garde-robe de René, je me suis trouvé un gilet et une paire de jeans, je me suis lavé les mains et je suis sorti, propre comme les nouveaux trente sous du mois d’octobre.

J’étais prêt pour la suite. J’ai donc pris l’autobus, direction Saint-Sauveur-Viarge.
À partir de la place Jacques-Cartier, j’ai remonté à pied le boulevard Charest jusqu’à la rue Bayard et j’ai sonné chez mon frère Jos qui demeure sur la rue Bagot, de biais avec le Poulet Frit Kentucky.

Je lui ai laissé le temps d’essayer de me faire croire qu’il était content de me voir, mais dès que la porte s’est refermée derrière moi, je lui ai ouvert la poitrine avec la lame de mon couteau en y dessinant une belle grosse croix rouge qui s’est mise à suinter sans bon sens.

Jos est mort les yeux ouverts, et j’ai trouvé que c’était une bonne chose. Comme ça, il a pu saisir avant de partir jusqu’à quel point je le détestais. Ce chien-là a passé sa vie à comploter avec ma soeur Monique. Je les imagine heureux de se retrouver en même temps en enfer, les salauds!

Me restait plus qu’à régler son compte au petit Pitt, venu témoigner contre moi à mon procès. Il a juré devant le juge-face-de-rat que je lui avais annoncé, deux semaines avant le fait, que j’allais tuer mon oncle Robert quand j’en aurais l’occasion. Il a pas parlé des petits services que le vieux christ nous obligeait à lui rendre quand on avait pas encore dix ans, par exemple. Il a pas parlé de l’angoisse, de la honte, des cauchemars, des mauvaises pensées que le vieux nous a laissés. Qu’on valait pas plus cher qu’un petit pénis bon à croquer. Pas plus cher qu’un corps à ouvrir pour s’y vider. Il a parlé de rien de tout ça, le petit Pitt, à mon procès.

Il devait bien se douter que j’allais lui remettre son petit change un jour ou l’autre. Eh bien, c’est ce midi que ça s’est passé.

Je l’ai retrouvé derrière sa chaise de barbier, dans le quartier Montcalm. J’ai attendu que son unique client, un gros bonhomme aux joues toutes roses, sorte enfin de son salon et je suis entré en vitesse. D’un geste rapide, j’ai verrouillé la porte, j’ai tourné l’affiche du côté «Fermé» et j’ai tiré les rideaux. Déjà, le petit Pitt s’était tiré sur le téléphone, mais il n’a pas pu faire plus que le 9 et le 1 avant que mon couteau se coince entre ses vertèbres et le fige sur place. Il est tombé comme un sac, paralysé, la bouche ouverte, incapable d’émettre le moindre son. J’en ai profité pour lui rappeler mon nom pour qu’il ne l’oublie pas une fois de l’autre côté. Puis je l’ai traîné jusque dans son arrière-boutique.

Bien sûr, j’aurais pu l’achever. Mais je me suis dit: pourquoi lui faire ce cadeau-là? Ce que je me demande, maintenant, c’est si un type paralysé de la tête aux pieds souffre avant de mourir de faim?

Le cas des actifs est donc réglé. Me reste plus que les passifs, ceux qui n’ont rien fait pour me défendre quand c’était le temps, ceux qui acceptent que des pauvres diables comme moi croupissent en prison parce que la vie les a malmenés, ceux qui pensent que tout le monde part égal dans la vie et que le bonheur, c’est juste une question de tempéra-ment.

Bullshit!

Vous aller y goûter à votre tour, mes cocos! Et pas plus tard que demain soir, nuit de l’Halloween. J’aurais préféré opérer à visage découvert, mais la police me cherche partout depuis qu’ils ont trouvé ma soeur Monique et son René de mari dans leur cuisine de Beauport.

Je pense même qu’ils sont en train de défoncer la porte d’entrée du 463, rue Bagot, à Saint-Sauveur-Viarge, parce qu’ils imaginent le pire en ce qui concerne mon frère Jos. Et ils ont bien raison. J’ai accroché son coeur encore chaud au-dessus de la porte du salon pour bien leur faire comprendre qu’ils ont pas à se presser pour appeler l’ambulance.
Ce serait surprenant, par contre, que la police pense au petit Pitt. Après sept ans… À moins que quelqu’un m’ait vu sortir en courant de son salon, une toile de barbier nouée au cou pour cacher mes vêtements souillés.

J’ai pas encore choisi mon déguisement. J’hésite entre Quasimodo, très populaire cette année, à ce qu’on dit, et René Angelil, à qui je ressemble déjà un peu.

Assis devant mon miroir, dans ma petite chambre de la rue du Roi, je sais que je vais tirer ma révérence avant la fin du week-end. Mais vous pouvez être certains d’une chose, mes bons amis, c’est qu’il y en a une couple de vous autres qui vont y passer aussi, histoire de faire un exemple et pour que vous arrêtiez de penser que vous êtes pas responsables du malheur des éclopés dans mon genre.

Hier, en décapitant le chien de ma soeur, je vous ai condamnés. Et la beauté de la chose, c’est que vous pouvez rien faire contre ça. Ceux que le hasard aura mis sur ma route ne s’en sortiront pas. Je me le suis promis.

Et, où que vous soyez, vous êtes tous sur ma liste.