Visite chez un embaumeur : Interview with a croque-mort
On les nomme croque-morts, mouches à formol ou, plus formellement, thanatopracteurs. Mais si leur univers est aussi difficile à percer qu’une veine jugulaire, les embaumeurs ne sont pas tous comme dans les bédés de Lucky Luke. Rencontre pas piquée des vers…
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«Autrefois, pour s’assurer qu’une personne était morte, on lui mordait le gros orteil. D’où l’expression croque-mort. Personnellement, je trouve que ce surnom est très irrespectueux, puisque notre profession est précisément fondée sur le respect de la mort. Pour moi, c’est un grand hommage que de préparer les gens décédés et de contribuer à leur dernier grand rituel?.»
Celui qui tient de tels propos, c’est Claude Bourassa, embaumeur de profession. Rappelez-vous cette scène d’Un zoo la nuit, où le fils lave son père passé de vie à trépas, avant de le préparer et de l’habiller solennellement, dans une atmosphère éthérée. Pour Claude Bourassa, c’est l’essence même de son métier.
Jovial et souriant, notre homme n’est ni un émule d’Edgar Allan Poe, ni un adepte des films «gore». Quand il termine son travail, il rentre chez lui bricoler sa maisonnette et, dans ses temps libres, il assiste à des pièces de théâtre ou encore il donne des conférences sur sa profession. Et il supporte très bien la lumière du jour.
Depuis vingt ans, cet ancien employé en hôtellerie est le dernier à affronter la mort de ceux qui lui tombent sous le gant chirurgical. On aurait pu s’attendre à ce qu’il soit né près d’une épitaphe, ou qu’il ait eu un père directeur de pompes funèbres. Pas du tout. «Pour des raisons personnelles, à vingt-sept ans, j’ai voulu faire un virage à cent quatre-vingts degrés. En feuilletant les Pages jaunes, je me suis rappelé que tout jeune, j’avais déjà voulu être embaumeur. Sans doute parce qu’à l’époque, je travaillais comme livreur et que je me rendais régulièrement dans un salon funéraire…»
Aujourd’hui, Claude Bourassa ne tarit pas d’éloges à l’égard de son lugubre boulot. «Le travail d’embaumeur est protocolaire, mystérieux, caché. De plus, en rencontrant les familles éprouvées, je vis des expériences vraiment pas banales, je participe à leur deuil et je contribue à dédramatiser la situation. Bref, je suis très fier de ce que je fais et je me sens privilégié de pouvoir ainsi rendre service à la société…»
Changement d’huile
La première raison d’être de la thanatopraxie, c’est la protection de la santé publique, puisqu’un cadavre putrescent risque de transmettre plus que des odeurs. Mais l’embaumeur ne rogne pas sur les charognes et il ne vide pas les morts bides; en bon plombier sépulcral, il s’attarde essentiellement à la tuyauterie humaine.
Grâce à une pompe recréant les battements cardiaques _ «c’est plus naturel!» _, l’embaumeur refait la circulation de la dépouille en remplaçant le sang par un liquide formique, sorte d’antigel qu’on envoie dans le radiateur corporel pour détruire les bacilles et les bactéries. Si ceux qui ont les artères encrassées peuvent causer problème, d’autres se vident comme un charme. «Pour ça, un arrêt cardiaque, c’est l’idéal: l’injection est facile et ça s’embaume tout seul jusqu’au bout des orteils…»
Évidemment, le début des années quatre-vingt ne fut pas de tout repos, chez les embaumeurs. «En 1982, tout le monde paniquait à cause du sida, et il y a même des salons qui ne juraient plus que par la crémation. Mais le sida, une fois qu’il est sorti, tu le regardes, et puis il meurt. Le pire, c’est de songer qu’un accidenté de la route est peut-être porteur de l’hépatite B ou d’une méningite, dont les virus sont beaucoup plus résistants.»
Protection de la santé ou pas, certaines pratiques donnent froid dans le dos, dans les coulisses morbides du sordide théâtre funéraire. Ainsi, au laboratoire où Claude travaille, un macchabée fraîchement préparé reposait sur une table inclinée, dont les cannelures latérales venaient de laisser s’écouler les globules rouges du trépassé dans… les égouts! Brrr…
Salut l’artiste!
Ceux qui se font injecter du collagène dans le visage changeraient peut-être d’idée s’ils savaient qu’on agit de la sorte avec les défunts. Car une fois la besogne de drainage effectuée, on passe au maquillage du corps exsangue, pour rendre présentable ce qui est devenu une sorte de mannequin aux chairs déliquescentes.
Sur la table de travail de Claude, à côté des canules, bistouris et autres outils chirurgicaux, on trouve ainsi du fard à joues, du fond de teint, du vernis à ongles et une trousse complète de maquilleur. Certes, ce métier nécessite du cran, de la dextérité et une grande maîtrise de soi. Mais ce n’est pas là l’essentiel. «Autrefois, je n’aurais jamais cru qu’être embaumeur comportait un volet artistique aussi prononcé!»
Sorte d’hybride entre un chirurgien plastique et un étalagiste, l’embaumeur sculpte donc ultimement la mort pour l’embellir. La somme de travail à apporter dépend de l’état de conservation du corps: «Si la peau s’est ouverte comme une fleur, on la referme. S’il en manque des bouts, on ajoute de la cire et on la modèle. Mais on finit toujours par faire des choses extraordinaires…»
Le plus grand plaisir de Claude? Voir un endeuillé arriver devant la dépouille préparée et lancer: «Ouf! on garde le cercueil ouvert…»
Post mortem
Passer sa journée à saigner des corps ou à en recoller les morceaux influence évidemment les relations, hors du travail. «Avant que je ne partage ma vie avec quelqu’un, ça prenait des semaines avant que je dévoile ma profession, lorsque je rencontrais de nouvelles personnes. Quand on me posait trop de questions, je disais que je travaillais en laboratoire sur du traitement de cellules par fixation osseuse. Ça leur clouait le bec!»
Du reste, il n’est pas toujours aisé de composer avec un corps qui se décompose. «Au début, on vit de nouvelles émotions et on se sent souvent profanateur, en se remémorant les tabous des enseignements passés. Aujourd’hui, mon travail est devenu tellement machinal que parfois, je ne me souviens plus si j’ai embaumé une femme ou un homme.» Mais la réalité surgit régulièrement d’outre-tombe, et tout embaumeur se sent fort mol devant un suicidé ou un enfant…
En définitive, le plus âpre aspect de la thanatopraxie, c’est de trouver la force de disjoncter, après avoir quitté le labo. «Je ne te dis pas que c’est toujours facile. Quand j’ai recousu la tête d’un homme décapité, ou quand on nous a envoyé des victimes de Polytechnique, ce fut très dur pour le moral. Mais on s’y fait.» Froid comme le marbre d’une stèle, le bonhomme? Pas toujours. «Mon métier comporte des limites que je ne pourrai jamais franchir. Comme embaumer ma mère ou mon père…»
Monsieur Bourrassa chapeau, vous fais un métier formidale, moi je le ferais pas mais une chose pour quoi que mon pére rire et ma mére elle étais triste dans sa tombe etre embaumer sais tout un métier bravo MIchel