Lynn Diamond : Le Passé sous nos pas
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Lynn Diamond : Le Passé sous nos pas

Cet intéressant petit roman de Lynn Diamond (déjà auteure d’un recueil de nouvelles, Nous avons l’âge de la Terre, publiée en 94) débute comme un policier, par un meurtre crapuleux, mais se poursuit comme une chronique familiale. Celle du clan Crawn, décimé par les haines et les jalousies, les divorces et les rêves déçus, les départs et les décès. Dont le dernier en date, la mort brutale de Leslie, la fille aînée et préférée de la mère, qui sous-tend la trame narrative, tout en restant à la périphérie de l’intrigue. Si enquête il y a, elle porte plutôt sur le passé d’une famille qui se désagrège.

Comme son joli titre le signale, Le Passé sous nos pas nous entraîne dans une autre temporalité, celle, intérieure, des souvenirs. «J’écris cette chronique à l’intérieur de ma tête, écrit Laurie (du moins, on le présume). Les paroles viendront d’ailleurs et d’autres que moi. (…) En conséquence, chacun des membres de cette histoire se situera au milieu de lui-même: là où le temps s’entremêle.»

Le roman est porté par trois narratrices, issues d’autant de générations. Trois femmes qui rêvent, ou ont rêvé, d’échapper à une réalité étouffante. Irène, la mère, ne jurait que par le pays de l’Oncle Sam, et a été tentée, via l’amitié avec une jeune Noire, par le militantisme et le journalisme. Aujourd’hui septuagénaire, elle avoue lucidement qu’elle a rendu les armes, s’étant plutôt enfermée dans la cage dorée de l’épouse bourgeoise. Sa fille détestée, Laurie, a réussi, elle, sa fuite aux États-Unis, ayant quitté la maison à 18 ans. Quinze ans plus tard, elle joue les revenantes – coïncidence? – juste au moment où gît sa soeur aînée, la gorge tranchée…

Enfin, l’auteure saisit très bien le mélange de fraîcheur et de fronde de la petite-fille, en train de quitter l’enfance, sous l’oeil passif d’un père dépressif. Minnie, 15 ans, s’imagine parfois dans un bunker invisible, «afin que personne ne s’approche assez près pour [lui] faire mal».

À travers une structure très découpée, rythmée par le nombre de jours écoulés depuis le meurtre, où passé et présent se succèdent, où les perspectives changent suivant le regard des différentes narratrices, à coups de courts paragraphes évocateurs, d’anecdotes révélatrices ou de détails justes, l’écriture économe de Lynn Diamond dessine un intrigant portrait de famille.

Tout cela compose un panorama plutôt impressionniste, à l’atmosphère feutrée, plein d’interstices, où s’engouffre et demeure intact le mystère des familles, des relations humaines et des êtres. Éd. Triptyque, 1999, 166 p.