Ralph König : Iago
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Ralph König : Iago

L’Allemand Ralph König fait figure d’exception dans le monde de la bande dessinée. On le surnomme parfois le «Brétecher gai», un rapprochement qui n’a rien de hasardeux: en plus d’oeuvrer dans un domaine artistique où femmes et homosexuels sont étonnamment peu présents, König a en commun avec la créatrice d’Agrippine un texte et un dessin humoristiques qui forment essentiellement une satire de situations contemporaines.

Loin du format habituellement plus modeste de ses oeuvres, son récent Iago est une fresque de 181 planches ayant pour cadre l’Angleterre du XVIIe siècle. En marge de sa trame principale, il offre un montage intelligent de motifs issus des tragédies de Shakespeare, dont Roméo et Juliette, ainsi que de ses Sonnets, poèmes longtemps inédits, consacrés à la beauté du comte de Southampton dont le grand écrivain était, paraît-il, amoureux.

L’action se passe dans un Londres élisabéthain où les «sodomites» vivent dans la peur d’être condamnés, mais ne se gênent pas pour se réunir et assister aux exécutions capitales, attirés par la beauté et la popularité du bourreau. Tom Poope, le protagoniste, est un acteur timide et chétif qui joue dans Hamlet. Il nourrit une passion pour un marin mulâtre et géant, avec qui les nuits de pleine lune sont particulièrement chaudes. Le couple projette d’aller vivre en Afrique, mais c’est sans tenir compte de l’ignoble Gus Philipps, comédien à qui on a prédit qu’il deviendrait célèbre dans le rôle d’Iago (dans Othello) et que son succès dépendrait de l’amour du Maure.

Sensible, personnelle et drôle, l’oeuvre plaît également par son côté irrévérencieux. L’album débute par un prologue où «Willi» Shakespeare lui-même, en état d’ivresse, descend de son âne pour uriner sur un poteau. La case suivante, au plan plus reculé, nous permet de voir que le poteau est en réalité une pique plantée devant la prison de Londres, au bout de laquelle est fixée la tête tranchée d’un condamné. Mordant. Traduit Par F. Ricker, lettrage de J. P. Tubetti, Éd. Glénat, 1999, 182 p.