Alain Turgeon : Préambule à une déclaration mondiale de guerre à l’ordre
On jurerait parfois qu’une certaine partie de la littérature québécoise est condamnée à ne jamais sortir de l’adolescence. Est-ce la faute à Ducharme, maître enfantôme du langage qui plane sur notre petit monde des lettres, ou à l’inachèvement de la nation québécoise?… Quoi qu’il en soit, y foisonnent les personnages de narrateurs adolescents, qui font assaut de langage déformé et de regard candide sur la vie, dans le but implicite de remettre en question l’ordonnance du monde. Ou de le faire voir différemment.
Refaire le monde, c’est aussi, je suppose, l’ambition du narrateur de Préambule à une déclaration mondiale de guerre à l’ordre (tout un programme, déjà!), d’Alain Turgeon, l’auteur québécois qui a publié, il y a un an, Gode Bless chez un éditeur de France – où il vit. Difficile de qualifier ce drôle de livre, succession de petites histoires qui dessinent plus ou moins la biographie et la vision des choses d’un narrateur nommé… Alain Turgeon.
Avec une bonne dose d’autodérision, l’auteur-personnage nous prévient d’emblée qu’il écrit «par le shit» (lire le haschisch), se décrit comme «un noteur» plutôt qu’un écrivain: «Moi je peux pas dire que ce que je fais est des livres.» Et, plus loin: «j’écris pas vraiment, tout ce que je fais, c’est postuler. Je postule pour ce boulot». Et ce jeune homme qui avoue «ne pas avoir beaucoup plus de quatorze ans d’âge mental» cherche sa place dans ce monde si mal fait. Au programme, donc: une grande provision de (fausse) naïveté, une écriture tronquée, qui passe au tordeur et le monde et la langue («il lui (Dieu) manque une miséricorde à son arc»).
Dans ces récits d’apprentissage du monde et de l’amour, Alain Turgeon narre, avec une grâce enfantine assez adorable, qui parfois n’est pas sans rappeler Le Petit Nicolas de Sempé, ses premières amours, à six ans; nous raconte, avec passablement de verve, ses expériences sexuelles égoïstes (ses «enfantasmes») d’ado; relate son premier voyage à Paris; parle de la guerre des sexes; raille l’ambition messianique de l’écrivain; discute de problématiques religieuses qu’il ramène essentiellement – et toujours – à un problème d’ordre amoureux et sexuel…
Un menu hétéroclite et très inégal, véritables montagnes russes littéraires, qui oscille du charmant (délicieux Ma première blonde) au trop banal (le chapitre sur le base-ball, notamment), d’un regard enfantin qui souligne l’absurdité du monde («Les chiens jappent mordent puent et ils sont notre meilleur ami») à un humour juvénile, du rigolo et bien tourné au presque n’importe quoi. Si l’auteur sait raconter de petites histoires révélatrices, ça se gâche sérieusement dans les pseudo-essais, suites de digressions qui surfent sur plusieurs sujets, et où surnage surtout une vision délibérément simpliste de la société -«l’ordre est pourri» ou «nous vivons comme des cons» -, pas toujours assez originale pour faire sourire, ou, encore moins, réfléchir. Ne serait-il pas temps de grandir un peu?
Éd. de l’Effet pourpre, 1999, 156 p.