Brian Biggs : Chère Julia
Depuis quelques années, en bande dessinée, se développe un courant composé de jeunes créateurs nés pour la plupart au tournant des années 60. L’œuvre de Brian Biggs, illustrateur américain, s’inscrit dans cette tendance.
Depuis quelques années, en bande dessinée, se développe un courant composé de jeunes créateurs nés pour la plupart au tournant des années 60. Un courant auquel adhèrent des Américains tels Adrian Tomine (Optic Nerve) et Jason Lutes (Jar of Fools), et le Canadien Seth, auteur de It’s a Good Life if You Don’t Weaken. Avec des œuvres dont le ton souvent désillusionné est frappant, et le style tout ce qu’il y a de plus rafraîchissant.
Le discours et le format de ces BD sont dans la lignée du roman graphique. Les «albums» ont les dimensions d’un roman et laissent une place importante à la narration, souvent à la première personne. Ils mettent en vedette des personnages éloignés des stéréotypes habituels de ce genre littéraire. Pourvus d’une personnalité et d’un physique peu flamboyants, ce sont de petits employés, des artistes ou des écrivains plus ou moins ratés, des chômeurs, des étudiants. Seuls, en couple ou dans un cercle d’amis, ils traversent les petits drames, parfois les petites joies de l’existence.
L’œuvre de Brian Biggs, illustrateur américain né en Arkansas en 1968, s’inscrit dans cette tendance. Parallèlement à son travail en publicité qui lui permet de gagner sa vie, il publie Dear Julia, en quatre fascicules, aux Éditions Black Eye, à partir de 1995. Un roman graphique dont les éditions montréalaises de La Pastèque proposent une première version traduite en un volume (avec le lettrage de l’auteur), sous le titre de Chère Julia.
Depuis son jeune âge, Boyd Soloman souffre de la fièvre des montagnes, d’une «soudaine et irrésistible envie de se lancer d’endroits surélevés, comme un oiseau», un mal héréditaire que lui a transmis son père, qui d’ailleurs en est mort. Un jour, Boyd découvre en bordure d’une route désertique le cadavre d’un homme tombé d’on ne sait où, qui aurait souffert du même mal que lui. Deux ans plus tard, ayant oublié cet événement, il fait la rencontre de Léopold Légyscapo, qui semble tenir entre ses mains le destin des autres. Un personnage mystérieux qui aurait lui aussi été sur les lieux de l’incident et qui replongera Boyd dans ses fantasmes aériens… Chère Julia, c’est aussi le drame d’un homme dont l’échec amoureux a résulté de ses obsessions, un drame que l’on devine par le biais d’images ou de bribes de paroles, sans qu’il soit développé. La subtilité de l’œuvre de Biggs est d’ailleurs en bonne partie due au pouvoir de suggestion d’un dessin saisissant et d’un texte donné au compte-gouttes, celui de la lettre que Boyd écrit tout au long de l’album à la femme qu’il aime et dont il est séparé.
L’œuvre donne une large part à la quotidienneté. D’une multitude de plans différents, on voit le protagoniste se raser, attendre le bus, écrire sa lettre à Julia. Avec l’accentuation des traits du visage de ses personnages, le style de Biggs est quelque peu expressionniste, une manière peu commune aux États-Unis où, habituellement, les bandes dessinées présentent un dessin soit réaliste, soit humoristique.
Ajoutons que si la BD est un art (le neuvième), La Pastèque montre que l’édition en est également un. Un art fait de patience et d’attentions portées à des détails qui séduiront immanquablement le lecteur et l’amoureux de l’objet-livre: qualité du papier, de l »impression de la couverture, jusqu’aux pages de garde et à la quatrième de couverture dont le graphisme est soigné. Le tout révèle une maturité étonnante lorsque l’on sait qu’il s’agit de la première monographie de cette jeune maison. Traduit de l’anglais par Pascal Lapointe. Éd. La Pastèque, 1999, 108 p.