Gabriel-Pierre Ouellette : Les Oriflammes noires
Auteur de poésie et de scénarios (grâce auxquels il a remporté plusieurs prix à Radio-Canada), Gabriel-Pierre Ouellette signe son premier roman, et s’impose déjà par une écriture singulière.
Auteur de poésie et de scénarios (grâce auxquels il a remporté plusieurs prix à Radio-Canada), Gabriel-Pierre Ouellette signe son premier roman, et s’impose déjà par une écriture singulière. «Il y a apparence d’orage. Les herbes, entre la maison et le ruisseau, se courbent et se relèvent lentement. Les cerisiers, le long des rives, retournent leurs feuilles et changent la couleur du monde. Sur les hauteurs des collines, alentour, le ciel roule de gros nuages gris. Tout à coup, la bête passe au milieu des enfants et elle disparaît à droite de la maison. La mère les presse d’entrer et elle ferme la porte.»
Avec cette scène inaugurale, où un cheval fou effraie les membres de la petite famille, le ton est donné. C’est de la folie, de ce gouffre vertigineux que parle Les Oriflammes noires. Alors qu’il croit avoir commis un crime fraticide, un jeune garçon traîne sa culpabilité comme un cauchemar qui grandit, année après année. Enfant, il commet des gestes irraisonnés; adolescent, il écrit un théâtre dans lequel il met en scène les membres de sa famille, comme pour exorciser le malheur. Plus tard, sa mère l’envoie étudier aux État-Unis, et, lors de ses visites, il recherche les profondeurs (les sous-sols, les tunnels) pour trouver des réponses et pour cacher sa honte. Plus tard encore, adulte, il continue de traîner ses cadavres et sombre dans une immense solitude, dans la marginalité. «Je n’irai plus dans le grand asile, en plein champ, d’où je ne sortais jamais. Je rencontrais les docteurs dans leurs bureaux, à l’autre bout du bâtiment, avec des rats de laboratoire et le chien de Pavlov, je ne sais trop dans quelle aile (…) Ce sont les compagnies d’assurances qui s’occupent de moi.» Le père mort, la mère emmurée dans son silence après que les folies de son fils eurent détruit ce qui restait de sa vie, voilà l’enfant devenu un homme abandonné de tous.
Comme en poésie, ce roman existe d’abord par l’écriture, par un style très imagé, très lyrique. Les personnages vivent à travers une langue travaillée, souvent très belle, inventive qui évoque la désolation, l’obscurité, accentuant les états d’âme du héros.
Le problème, au-delà de la langue, c’est que l’histoire est plutôt difficile à suivre. En fait, une histoire n’existe pas si elle ne nous est pas «racontée». La superposition et l’accumulation de scènes, de personnages et de propos ne constituent pas un récit: il faut une narration cohérente, un fil que le lecteur puisse suivre. Trop souvent dans le roman de Ouellette, l’on ne sait plus s’il s’agit du passé, du présent, et pire, du même personnage. Il faut scruter à la loupe ce texte aux sens cachés, que le style, si beau soit-il, opacifie quelque peu. Cela n’empêche pas de ressentir une émotion à la découverte de ces personnages troubles, et d’être touché par cette écriture riche. Mais ce n’est pas assez pour en faire un grand roman. Vivement le prochain… Éd. de l’Hexagone, 1999, 144 p.