Jean-Claude Izzo : Le Soleil des mourants
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Jean-Claude Izzo : Le Soleil des mourants

Il y a un culte sympathique et mérité autour de Jean-Claude Izzo, qui s’est brillamment manifesté depuis le milieu des années 90 en signant, dans la Série noire, trois polars.

Il y a un culte sympathique et mérité autour de Jean-Claude Izzo. L’écrivain marseillais s’est brillamment manifesté depuis le milieu des années 90 en signant, dans la Série noire, trois polars (Total Khéops, Chourmo et Solea) qui célébraient l’intégrité d’un flic défroqué, sur fond de parfum de pastis, d’ail et de poisson frais. Aussi proche de la petite délinquance que de la grosse mafia, autant branché sur le rap de I AM que sur le «ragga» du Massilia Sound System, Izzo s’est inscrit dans le réel d’une jeunesse qui s’est reconnue dans cet univers vacillant entre le sensationalisme de la misère et l’enquête sociologique.

Le romancier est de retour sur le terrain, mais cette fois sur le territoire de l’itinérance. Dans Le Soleil des mourants, Izzo s’accroche à la dérive d’un clochard français fin de siècle, Rico, depuis Paris jusqu’aux hangars abandonnés du port de Marseille. Après le décès de Titi, son meilleur ami, dans les couloirs du métro parisien, Rico décide de réaliser le rêve que caressaient les deux comparses: partir, comme Kerouac et les beatniks, on the road, pour aller mourir au soleil.

Dans cette chevauchée clandestine, confronté aux contrôleurs de train zélés et aux bandes de petits criminels, il rencontrera Mirjana, une jeune Bosniaque prostituée qui survit en lisant la poésie de Saint-John Perse. Et, à son arrivée à Marseille, il fera la connaissance d’un adolescent, Abdou, sans famille, sans papier, délinquant.

Dans un monde où l’itinérance est plus souvent qu’autrement associée à l’analphabétisme, Izzo nous propose des destins qui sont marqués par la littérature. Elle agit de façon presque salvatrice, dans ce contexte social de notre civilisation occidentale moderne où le fossé entre riches et pauvres s’approfondit et s’élargit à chaque instant. Elle est un refuge, un baume, un miroir de la souffrance des hommes.

Ce livre aurait pu d’ailleurs tomber dans un misérabilisme bien-pensant, ou encore dans le rapport d’enquête journalistique racoleur. Or, il n’en est rien. Sans gommer le réel, sans magnifier l’authenticité de ses mourants, Jean-Claude Izzo écrit la main sur le cœur et les tripes sur la table, en dosant avec justesse; ce qui donne un livre marqué au sceau de la sobriété, qui ne verse pas inutilement, ou pour les besoins du spectaculaire, dans les excès. On y sent un respect profond pour ces sans-domicile-fixe; et on ressort grandi de la lecture de cette œuvre.

Sans être annoncé comme le grand roman de notre fin de siècle, et ce n’était sûrement pas l’objectif de l’auteur, Le Soleil des mourants est peut-être le seul livre français de la rentrée 1999 qui réussisse à mettre, avec lucidité et simplicité, le doigt sur les bobos de notre société. Éd. Flammarion, 1999, 265 p.