Yves Meynard : Le maître des illusions
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Yves Meynard : Le maître des illusions

L’évasion est l’un des plus grands plaisirs que procure le roman de fantasy. Mais quand c’est pour mieux retrouver la réalité, on a affaire une œuvre solide et marquante. C’est le cas du Livre des chevaliers, d’YVES MEYNARD, un auteur québécois méconnu, mais pas pour longtemps…

Yves Meynard est un ardent défenseur de la littérature de genre. Il aime le merveilleux, le fantastique, la science-fiction, et digère mal le snobisme de l’institution littéraire à leur égard. «La paralittérature est définie comme telle pour des raisons d’ordre socioéconomique, et non esthétique. Elle est définie par la classe sociale qui la lit.» C’est-à-dire, selon Meynard, des gens qui ne sont pas toujours très scolarisés (la scolarisation n’ayant d’ailleurs rien à voir avec l’intelligence et la culture).

Lui l’est, scolarisé. À 35 ans, il est docteur en informatique, et travaille aujourd’hui pour une compagnie qui fabrique des logiciels destinés à l’industrie du vêtement. En plus de cela, il dirige la revue de S. F. et de fantasy Solaris, et il écrit: quatre romans «merveilleux» pour la jeunesse, un recueil de nouvelles et deux romans de science-fiction. En 1998, il publiait The Book of the Knights, aux États-Unis, chez Tor Books, roman qu’il a écrit en anglais (suite à l’invitation d’un éditeur américain faite aux auteurs canadiens), et qu’il a traduit pour le marché francophone sous le titre Le Livre des chevaliers.

Une littérature sérieuse
Que l’on connaisse le genre du merveilleux ou non, il serait bien dommage de passer à côté de ce roman sous prétexte d’être un profane, et de n’y rien comprendre. Le seul effort à faire, c’est de se laisser aller. Que raconte Le Livre des chevaliers? La quête d’un jeune garçon, Adelrune, qui, découvrant Le Livre des chevaliers dans la maison de ses parents, partira à la recherche de lui-même. Pour accéder à la condition de chevalier, il lui faudra vivre des aventures à caractère initiatique, presque des épreuves. Un mélange de plusieurs images qu’on a déjà vues dans d’autres histoires; mais aussi un souci de cohérence, et de singularité. «Je cherchais surtout à faire un roman picaresque, raconte Meynard. Un roman d’aventures donc, sur le mode du voyage, où les aventures ne sont pas nécessairement unies par un lien de cause à effet. Je n’ai pas voulu être "postmoderne" et faire un collage de lieux communs littéraires. Ni d’ailleurs, parce qu’on est dans le roman d’apprentissage, faire la morale.» Et ce n’est pas parce qu’Adelrune, son héros, ne se bat presque jamais, qu’on est nécessairement dans la «leçon»… «Contrairement aux romans de chevalerie habituels, je voulais que le personnage résolve ses conflits par la raison, pas par le combat, élément que l’on retrouve souvent dans les romans à jeux de rôles. Pour ma part, je trouve cela répétitif et plutôt banal.»

Le Livre des chevaliers, s’il rappelle des «archétypes» («à ne pas confondre avec des images toutes faites», prévient l’auteur) comme la figure de Lancelot, par exemple, dénote également une grande inventivité, en présentant des images stupéfiantes; comme celle de ces hommes-mollusques, nés de coquillages, et dont l’habitat, une espèce de grotte, diffuse une lumière envoûtante. Ou encore, ces lieux indéterminés dont les descriptions font appel aux sens plutôt qu’à la logique. «Mon personnage évolue dans un monde non spécifié, explique Meynard, qui se construit au fur et à mesure que l’histoire se développe.»

Si l’on est habitué désormais, culture de l’image oblige, à des effets spéciaux, le roman de fantasy doit les fabriquer avec des mots. Meynard, en ce sens, est un «littéraire» et fait peu appel aux autres médiums pour écrire ses romans. «Le film Star Wars, même si on peut l’aimer par ailleurs, a été une catastrophe pour la littérature de genre comme la S. F. et le merveilleux. Depuis le succès de ces films, tout le monde pense que la fantasy est nécessairement un monde d’effets spéciaux: c’est faux. La profondeur des personnages, du scénario, l’importance du style sont tout aussi nécessaires à un bon roman.» C’est aussi à cause de ce côté gadget, associé à la paralittérature, que l’institution la boude… «Pourtant, il y a aujourd’hui un très bon (et grand) corpus: avant, dans les pulp magazines (qui publiaient des feuilletons de S. F. ou de policier, des années 30 à 50), on engageait des auteurs pour faire du remplissage; ainsi, il s’est développé toute une production, riche, diversifiée, de qualité littéraire indéniable. Je suis toujours surpris de voir qu’on a les mêmes préjugés qu’avant envers la S. F., considérée comme une littérature qui n’est pas sérieuse. C’est faux.»

Trafic d’influence
Des préjugés, il y en a encore. Meynard raconte cette anecdote au sujet de Bernard Werber, auteur des Fourmis, roman qui connut un très grand succès en France et ailleurs. «Son éditeur lui interdit de dire que c’est de la science-fiction, s’indigne Meynard. Pourtant, quand vous parlez avec lui, Werber reconnaît que c’est exactement ça: mais il sait aussi que le public, et surtout la critique, s’intéressera moins au genre si on l’étiquette S. F.»

Autre exemple éloquent, le réalisme magique, courant que l’on associe à la littérature latino-américaine, et aussi québécoise (dans les livres d’Anne Hébert, par exemple). «Quand c’est un grand écrivain, comme Borges ou Márquez, on parle de "réalisme magique"… Mais pourquoi nier qu’il s’agit parfois de "merveilleux"? Parce que l’on ne prendrait pas cette littérature au sérieux. C’est dommage, d’autant plus que les auteurs se coupent parfois d’un public différent – et souvent plus nombreux…!»

En effet, peu d’auteurs peuvent se targuer de passer des journées entières avec leurs admirateurs (mais le voudraient-ils tous?), comme ceux qui écrivent de la S. F., souvent invités à des «conventions» organisées par les fans, et qui y travaillent bénévolement!
Parmi les influences d’Yves Meynard, celle de Jack Vance, Américain né en 1916, auteur de The Dying Earth, tient une place particulière, notamment dans Le Livre des chevaliers. «C’est surtout dans les dialogues avec Kodo, mon personnage d’homme-mollusque, que je vois les traces de cet écrivain dans mon récit. Mais bien sûr, il y a toujours l’ombre de Tolkien, quelque part, comme chez beaucoup d’auteurs. Sauf que, pour être honnête, je fais attention de ne pas "imiter les imitateurs" de Tolkien… Pour tout dire, je crois que ce que j’en ai gardé, c’est ce souci de dire quelque chose sur le monde dans lequel évoluent les personnages: et ce monde est toujours en mouvement, soumis aux changements, comme celui dans lequel nous vivons. Contrairement à cette fantasyland, un lieu figé, que l’on retrouve dans de très nombreux romans, et qui se répète sans jamais évoluer.»

Le Livre des chevaliers
Éd. Alire, 1999, xxx p.