Dialogue sur les pays neufs : Une nouvelle histoire?
Gérard Bouchard est certainement l’un des importants historiens de notre temps. Dialogue sur les pays neufs constitue une introduction à un ensemble d’idées jusqu’alors éparpillées dans des dizaines d’articles.
Gérard Bouchard est certainement l’un des importants historiens de notre temps. Dialogue sur les pays neufs constitue une introduction à un ensemble d’idées jusqu’alors éparpillées dans des dizaines d’articles qui n’ont guère été diffusés en dehors du milieu des spécialistes de l’histoire; et dans lesquels Bouchard propose une vision nouvelle de notre passé: si l’on veut comprendre l’évolution de la société et de la culture québécoises, il faut cesser de percevoir notre histoire comme un chapitre inachevé de l’histoire de la France.
Nous sommes un pays neuf, à l’image de toutes les nations du continent américain et des autres États établis par les empires coloniaux des siècles derniers: l’Australie, l’Afrique du Sud, etc. Il est essentiel, selon Bouchard, d’étudier comment ces pays se sont constitués en tant qu’entités socialement, culturellement et politiquement autonomes. Car en comparant leur histoire à la nôtre, nous nous mettons en position de mieux comprendre le processus de formation de notre propre identité.
À partir de ce principe, Bouchard en arrive à un constat fort intéressant. L’histoire de la plupart des nations qui, comme nous, sont nées des entreprises coloniales européennes, présente deux étapes. Dans un premier temps, la nouvelle collectivité se conçoit comme une extension de sa métropole d’origine; elle se veut une nouvelle Espagne, une nouvelle France. Mais voilà qu’avec le temps, elle se réclame d’une identité particulière, ce qui la conduit à rompre plus ou moins les liens avec sa mère patrie. Sauf que dans le cas du Québec, les choses semblent avoir fonctionné à l’envers. Déjà, à l’époque de la Nouvelle-France, les habitants constituaient une collectivité différente des Français. C’est au lendemain de l’échec de la Rébellion de 1837 que nous nous sommes raccrochés à nos origines françaises.
Bouchard constate de plus que c’est à partir de cette époque que le Québec a commencé à être culturellement tiraillé entre la France et l’Amérique: «Pour les élites, l’avenir de la culture francophone en Amérique devait s’appuyer sur la grande tradition française. Elle devait s’en nourrir, d’où le thème de la fidélité aux racines. […] Or, parallèlement, la culture populaire se construisait […] à même les expériences quotidiennes qu’elle vivait sur le continent, à même la dérive des mots, des sens, des images surgies de l’américanité. D’où, à la longue, le clivage entre, d’un côté, une culture nourrie de sa référence française et européenne et, de l’autre, une culture immergée dans la vie du Nouveau Monde.»
Le propos de Dialogue sur les pays neufs est passionnant. Cette entreprise de vulgarisation des recherches de Gérard Bouchard est fort bienvenue, et arrive à point. N’empêche que la lecture du bouquin a, par moments, quelque chose de très agaçant. Composé d’une longue entrevue menée par le journaliste Michel Lacombe, le livre accumule un lot d’apartés qui n’y sont pas tout à fait à leur place. Comme lorsqu’on y pousse l’historien à discuter de l’actualité politique, ou à lier ses recherches à son vécu de petit gars de Jonquière (cela sans glisser le moindre mot sur le seul aspect anecdotique qui puisse avoir un certain intérêt: le fait que Gérard Bouchard ait un frère prénommé Lucien…)
Dialogue sur les pays neufs
de Gérard Bouchard et Michel Lacombe
Éd. Boréal, 1999, 224 p.