Éric Fourlanty : La Mort en friche
ÉRIC FOURLANTY, chef de la section cinéma à Voir Montréal, donne aussi dans la nouvelle. Ça ressemble à une bonne nouvelle…
Le temps d’un recueil, le journaliste Éric Fourlanty a troqué la plume de critique pour celle de nouvelliste. La Mort en friche, un tout premier bouquin, compte une douzaine de textes qui témoignent d’un doigté certain et ne laissent aucun doute sur le très fertile imaginaire de l’auteur.
Ici, les nouvelles ne sont pas coordonnées, mais subordonnées. En effet, Éric Fourlanty a conçu un ensemble très structuré, où les histoires sont liées les unes aux autres. D’une nouvelle à l’autre, des personnages réapparaissent, se retrouvent, poursuivent une relation ébauchée plus tôt. Ainsi en est-il de Claude, qui entre en scène au tout début, dans le texte Les Claude. Elle y rencontre un homonyme qui partagera tout un pan de sa vie, avant de tirer subitement sa révérence. Le même personnage reviendra dans La Femme bleue, nouvelle d’un onirisme séduisant, où une femme voit s’étaler sur sa peau un bleu mystérieux, qui la recouvrira toute entière.
L’amant de Claude, prénommé Thomas, réapparaîtra pour sa part dans Thomas l’obscur, Conduite automatique et Le Compartiment. Ce jeune homme ballotté par la vie, taraudé par le souvenir d’une s œur fauchée en pleine jeunesse, gagne sa croûte en offrant son corps aux passagers du train Paris-Milan, puis entretient une étonnante relation avec un tueur à gages en fin de carrière.
Dans La Mort en friche, une dernière nouvelle où surgit, là encore, un personnage déjà connu, Fourlanty pousse plus loin la thématique sous-jacente au recueil tout entier, celle de l’approche de la mort. La mort comme dans quitter le monde et ceux qui lui donnaient un prix; la mort comme une séance d’adieux qui donne aux choses leur juste perspective.
Ce livre est donc un puzzle dont les morceaux lentement s’emboîtent, composant un tableau en trois dimensions. Un tableau qui pourrait avoir, pour note explicative, ces phrases très belles tirées du texte Les Corbeaux: «Amours impossibles, rendez-vous manqués, joies gaspillées, violences enfouies et mots perdus vivaient quelque part, elle en était convaincue. Chaque rire étranglé éclatait ailleurs, chaque larme essuyée roulait sur une autre joue, chaque cri étouffé résonnait sous d’autres cieux, et chaque baiser volé se consumait sur d’autres lèvres.»
La Mort en friche est de bon augure. Fourlanty auteur y fait preuve d’ingéniosité narrative, de la science qu’il faut pour insuffler vie à ses personnages et de beaucoup de tact dans les recoupements opérés tout au long du livre.
Le sens de la chute est indéniable, les descriptions, soignées, et nul doute que le style du nouvelliste se raffinera encore un peu pour se défaire du caractère «\bon élève» qui transparaît ici et là dans la manière de dérouler le récit. D’ici là, nous tenons un recueil riche, qui nous laisse dans l’attente impatiente de la suite.
La Mort en friche
d’Éric Fourlanty
Éditions de L’instant même
1999, 121 pages