Julie Hivon : Lettres vivantes
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Julie Hivon : Lettres vivantes

Julie Hivon publie un roman très prometteur: Ce qu’il en reste. Voici un livre sur le thème de la jeunesse et de la liberté, écrit par une amoureuse des images et des mots, cinéaste et nouvelliste.

Elle s’est fait plaisir, Julie Hivon. Auteure de deux courts métrages (Baiser d’enfant, Dans le parc avec toi), cette scénariste et réalisatrice de vingt-neuf ans (qui enseigne aussi le cinéma au Collège Ahuntsic) a décidé de ne pas perdre son temps: si, pour son premier long métrage, le cinéma l’a fait attendre (montage financier, attente des décisions des uns et des autres, des réponses des institutions, etc.), elle a, par contre, écrit un premier roman, Ce qu’il en reste, dans la plus grande liberté possible. «J’adore le cinéma, confie cette pétillante jeune femme, mais il y a tellement de monde impliqué dans une production, tellement de commentaires, que l’écriture n’est pas aussi personnelle. Ceci dit, j’adore le travail de groupe, et c’est le cinéma qui correspond le mieux à ça, selon moi. Mais pour exister, un film doit être monté, vu. Un livre, vous pouvez l’écrire chez vous, sans que personne ne le sache, mais votre histoire existe.»

Julie Hivon a toujours écrit de la prose. Elle a même remporté le prix du concours de nouvelles Voir, en 1997, avec un texte intitulé Ballade pour une fin de millénaire. Elle a aussi gagné, la même année, le prix du Festival de théâtre amateur de Victoriaville pour Le Livre de grand-mère, une pièce pour enfants. Bref, elle a plus d’un tour dans son sac, mais pour elle, tout passe par le même médium. «Le cinéma, comme la littérature, c’est de l’écriture. Seulement, le cinéma, c’est des images, la littérature, des mots. Mais pour moi, c’est le même plaisir, la même énergie qui me fait écrire.»

Vive la liberté
En fait, la jeune auteure s’est surtout attelée à une catharsis: écrire un livre sans contraintes, sans penser au public, ni aux moyens financiers et matériels. «J’ai fait exactement ce que j’ai voulu dans ce roman, dit Julie Hivon. J’ai souhaité que mes personnages aillent dans le désert, juste pour un week-end, eh bien, ils l’ont fait! Pas besoin d’argent pour ça!… En fait, je me suis lancée, sans peurs, sans attentes non plus, ce qui m’a permis, d’ailleurs, d’écrire tout ce que je voulais. En réalité, je ne tenais pas nécessairement à publier, mais j’étais tellement contente à la fin d’avoir été au bout de quelque chose que je me suis dit: pourquoi ne pas essayer l’édition? Et ça a pris très peu de temps pour avoir une réponse; en fait, tout ce qui me vient avec ce roman est tout simplement magique. Je l’ai écrit dans le pur plaisir, en toute liberté, du début à la fin!»
En effet, le thème de la liberté est aussi présent dans la démarche de l’auteure que dans son roman. Car pour Mauve, héroïne de Ce qu’il en reste, c’est une expérience initiatique que celle de vivre selon ses valeurs, ses humeurs, ses convictions, une existence hors norme. Vivant seule dans son petit atelier, Mauve héberge un couple de jumeaux, Olivier et Rose, frère et sœur mais aussi amoureux – sorte de clin d’œil aux romans de Ducharme, qu’adore Julie Hivon. Étienne, voisin, peintre, vaguement amant de Mauve, se joint au trio, et tous partent, un peu, à la dérive en forme de cocon où, comme le dit Hivon, «les gens s’acceptent comme ils sont». Mais c’est en plein cœur de la tourmente qu’ils découvriront leur vérité, et qu’ils défendront leurs convictions, trouveront leur identité. Problèmes familiaux, suicide, pauvreté sont parmi les thèmes effleurés dans le roman, mais Julie Hivon aime la fantaisie, la beauté, la poésie, et son écriture sauve le roman du pathos et de l’apitoiement. Bien sûr, Mauve et ses amis ont bien quelques coups de gueule (est-ce de la naïveté? de la lucidité?) contre la société, ses codes, ses normes, mais ils ont raison. «Les collectionneurs aiment l’argent, moi, j’aime cette toile. Sous chacun des coups de pinceaux qui la recouvrent, il y a une respiration, une blessure. Il y a l’amour que j’éprouve pour Rose et Olivier, il y a mon frère qui meurt sans arrêt, ma mère qui est enterrée vivante, mon chien que je préfère à bien des humains. Il y a tout moi et tous ceux que j’aime (…). Je ne vendrai jamais cette toile, je la donnerai, je la donnerai à quelqu’un, qui un jour s’arrêtera devant et se verra dedans.»

Miroir déformant
«Mauve, c’est un peu moi-même, confie Julie Hivon. Bien sûr, je ne peux pas passer à côté. Elle est ouverte, accueillante, et ne se protège pas, elle s’abandonne. Je crois que c’est un peu moi.» Et aussi, c’est pas mal de filles qui hantent les pages de nos écrivaines québécoises. Pensons à Hélène Monette, à Brigitte Caron, pour ne parler que d’elles, dont les héroïnes sont souvent «envahies» par la famille, les hommes, les amis… Julie Hivon a l’air de savoir de quoi je parle!… «Mauve est imprégnée de ma propre vie, même si ce n’est pas moi. Mes parents ne ressemblent pas aux siens, mais on peut très bien aborder le thème des conflits de générations sans pour autant vivre une tragédie avec ses parents!»
En fait, le conflit des générations en question, tel que décrit dans le roman de Hivon, est ravivé par un drame, le suicide du frère de Mauve, Nicolas, dont la présence hante encore la demeure familiale. C’est dans les dialogues – et les silences – entre Mauve et ses parents, que Hivon touche le plus délicatement à la vérité. Dans les rapports entre les personnages, qui jouent à cache-cache avec eux-mêmes (leurs peurs, leurs contradictions), dans la plus grande sincérité. Vraiment, un roman touchant, et qui révèle une voix originale.

Ce qu’il en reste
Éd. XYZ, 1999, 224 p.