Francis Vallès : Haut de case
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Francis Vallès : Haut de case

L’adaptation de son oeuvre pour le cinéma ou la télévision est une consécration que tout romancier ou dramaturge peut espérer. Mais qui peut se vanter de voir sa bédé portée à l’écran? Françis Vallès, dessinateur, et créateur, avec Jean van Hamme, de la série Les Maîtres de l’orge, qui présentait récemment à Montréal un album hors série: Les Steenfort.

Lorsque bière et bande dessinée, deux fleurons de la culture belge, sont réunies par le scénariste Jean van Hamme (créateur des séries XIII, Thorgal et Largo Winch), le succès n’est rien de moins qu’assuré… Composé de sept épisodes, dont l’action s’étale de 1854 à 1997, Les Maîtres de l’orge relate pourtant l’épopée captivante d’une famille de brasseurs partis de rien, mais qui ont dans le sang l’amour de leur produit et le sens de l’entreprise.

Son cocréateur Francis Vallès, que l’on prend souvent pour un Belge depuis la renommée de la série, est français. Né en 1959, il a créé Dorian Dombre, avec José-Louis Bocquet, de 1989 à 1992, une oeuvre fort belle racontant les péripéties d’un journaliste en Indochine, que Glénat réédite cette année dans sa collection «30 ans d’édition». Mais c’est sa collaboration avec Jean van Hamme, depuis 1990, qui a véritablement fait connaître ce dessinateur.

Un travail d’équipe des plus satisfaisants, selon ce dernier. «Van Hamme a la même vision du travail que moi, explique Vallès. Je ne suis pas du genre: on se réunit, on fait des réunions de travail pompeuses et tout. J’ai l’impression que ça n’avance à rien. Donc, on se fait confiance mutuellement: je lui fais confiance pour les scénarios, il me fait confiance pour les dessins. Sur les huit albums, il m’a demandé de recommencer deux cases seulement. Au fil du temps, la relation professionnelle est devenue amicale. Une fois par an, on passe une semaine ensemble, sans trop parler boulot.»

Les Maîtres de l’orge, véritable succès commercial de Glénat, doit beaucoup au talent de son dessinateur qui, avec son style souple et élégant, a su relever le défi du changement régulier d’époque, de lieu et de classe, en rendant l’ambiance propre à chacun. Car contrairement à la plupart des dessinateurs dont les séries se concentrent sur un temps et un espace donnés, et dont les personnages, souvent, ne vieillissent pas, Vallès a constamment dû s’adapter aux sauts dans le temps exigés par le scénario. D’un monastère de l’Ardenne au milieu du XIXe siècle au Minnesota des années 90, en passant par le Brabant et la capitale belge durant la Grande Guerre, et les années 30, 50 et 70, il a dû en intégrer des modes vestimentaires, des coiffures, des modèles de voitures, ainsi qu’une architecture qui va du couvent médiéval au gratte-ciel nord-américain. «C’est le principal attrait de la série à mes yeux. Ça m’a décidé à accepter d’y collaborer, car c’est quelque chose que je n’avais jamais vu. De plus, j’adore faire la recherche pour chaque époque. Je m’intéresse au mobilier, aux vêtements. C’est à la fois fastidieux et récréatif. Il faut voyager, aller en bibliothèque, archiver, et après ça ressort dans l’album.»

Finir en beauté

La planche finale du septième (et en principe dernier) épisode des Maîtres de l’orge nous laissait dans un studio où l’on filmait l’histoire des Steenfort, sous le regard de François, dernier héritier de l’entreprise, en 1997. Tout en marquant la fin de la série, l’ultime clin d’oeil à la télévision était également le signe de la transmission de l’oeuvre à un autre média. Mais avec un huitième album, après le téléfilm, est-ce que la BD veut avoir le dernier mot?

«La saga est terminée», assure Vallès. Le huitième album est en fait un hors-série, né pour différents motifs. «Depuis le début, j’ai fait comme si la firme Steenfort existait pour de vrai et j’ai dessiné de fausses étiquettes de bières, qui apparaissaient à la fin de chaque tome, en m’inspirant des courants graphiques de chaque époque. J’ai fait aussi de fausses publicités ici et là. Au point où certains lecteurs me demandaient où l’on pouvait trouver la bière Steenfort. De plus, avec van Hamme, on s’est dit qu’il y avait des périodes, sur toute l’histoire, qu’on avait laissées de côté. On a donc décidé de faire un album réunissant les travaux de fausse publicité que j’avais réalisés, tout en revenant sur l’histoire. Une façon de finir la série en beauté.»

Le dessinateur travaille à une nouvelle série, avec Stephen Desberg au scénario, dont l’action se déroulera aux États-Unis, une série «à tendance policière, avec des héros forts et une psychologie importante». Lorsqu’on lui demande en quoi Les Maîtres de l’orge a changé sa carrière, Vallès reste lucide. «Je travaille toujours de la même façon. Je n’ai pas pris la grosse tête parce que j’ai du succès. Ce sont les autres qui me regardent différemment. Il y a des gens qui m’ignoraient avant et qui maintenant viennent me serrer la main parce que je travaille avec van Hamme. Le vrai changement pour moi, c’est que je suis plus tranquille financièrement, et que si je veux quitter Glénat, on m’ouvrira grand les portes ailleurs. Avant, c’était moi qui frappais aux portes…»

Les Steenfort

Éd. Glénat, coll. Grafica

1999, 56 p.