Michel Rabagliati : Paul à la campagne
L’illustrateur montréalais Michel Rabagliati gagne sa vie en dessinant pour des magazines. Et se raconte dans une bande dessinée toute neuve: Paul à la campagne.
Il y a quelques mois, les Éditions de la Pastèque, spécialisées en bandes dessinées, nous régalaient avec un petit bijou intitulé Chère Julia, adaptation en français de l’oeuvre de l’Américain Brian Biggs. Elles récidivent avec Paul à la campagne, première incursion (réussie) dans ce genre littéraire pour l’illustrateur montréalais Michel Rabagliati.
L’album se compose de deux récits, résolument placés sous le signe de la nostalgie de l’enfance et de l’adolescence. Dans le premier, Paul à la campagne, nous faisons connaissance avec le héros narrateur qui, accompagné de sa femme et de leur petite fille, rend visite à ses parents à leur résidence des Laurentides. Un voyage qui sera l’occasion de se remémorer différents souvenirs de jeunesse s’étant déroulés dans ce lieu, ainsi que dans le quartier Rosemont, à Montréal. Dans Paul apprenti typographe, on retrouve le même personnage racontant sa visite à l’atelier de linotypie de son père, en compagnie de celui-ci, alors qu’il avait dix ans. Un récit touchant dont on retient particulièrement l’affection entre le père et le fils.
Récit d’auteur
Né à Montréal en 1961, Michel Rabagliati, qui a grandi à Rosemont, vient aussi d’une famille de typographes. Il avoue que les événements qu’il raconte sont à cent pour cent autobiographiques. «J’ai déjà essayé de faire des bandes dessinées avec des personnages fictifs, des cow-boys, des Martiens, etc. Je ne me suis jamais rendu jusqu’au bout, parce que je n’arrivais pas à faire avancer l’histoire. En 1991, j’ai lu pour la première fois des bandes dessinées autobiographiques et ça a cliqué. Ayant travaillé pour Drawn and Quaterly (un éditeur anglo-montréalais de bandes dessinées) pour créer leur logo, je m’étais mis à feuilleter leurs albums, ceux d’auteurs comme Chester Brown et Seth, qui y racontent leur vie, et ç’a vraiment été une révélation.»
Plus tard, Rabagliati découvre les albums de L’Association, un éditeur français qui se spécialise également dans l’autobiographie graphique, l’oeuvre de Dupuy et Berberian, avec leur sympathique Monsieur Jean, mais surtout leur Journal d’un album. «C’est avec cette oeuvre, moins stylisée, en noir et blanc, avec des cadres faits au crayon Pilot, que le déclic s’est fait. Une histoire qui avance, et le dessin qui suit. C’est comme ça que j’avais envie de raconter.»
Car Rabagliati, qui travaille comme illustrateur, notamment pour des magazines américains, canadiens et québécois (comme Coup de pouce, L’actualité, Touring, Clin d’oeil), cherchait un style de bandes dessinées à l’opposé de ce qu’il réalise quotidiennement. D’où le dessin sobre, noir sur blanc, sans teinte de gris et sans couleur. «Dès le départ, je voulais faire avancer une histoire, plus que de faire du dessin. Puisque dans mon travail de tous les jours, je dois livrer des illustrations léchées, très finies, j’ai opté pour une bande dessinée plus simple. Je ne veux pas passer huit heures à faire une auto ou à me documenter pour faire un édifice. Je me réfère en cela à Reiser et à Bretécher, qui ont réussi à implanter une atmosphère avec deux, trois coups de crayon. Je veux surtout raconter, travailler le côté cinématographique de la bande dessinée, le côté "montage". Savoir amener le bon gag et l’émotion au bon moment.»
Notons que, effectivement, le scénario de Rabagliati est bien mené, qu’il mêle habilement l’humour à la nostalgie et au questionnement personnel. Ce premier album, qui fera partie d’une série, raconte des moments de l’enfance et de l’adolescence du héros. Dans le prochain, déjà en chantier, Paul a dix-huit ans. «Paul a un travail d’été, explique l’auteur, sera un récit plus linéaire, avec moins de flash-back. C’est le récit de mon été 1979, de mes dix-huit ans, un été intense en découverte de soi et des autres. Un premier boulot avec ses déboires, une première blondel; mais aussi la remise en question de l’enfant gâté, gras dur, que j’étais.»
Pour qui serait déconcerté par la simplicité de ses titres (le troisième album devrait sappeler Paul en appartement), l’auteur s’excuse. «J’aime beaucoup la série des Martine. Je m’en suis inspiré pour les titres. J’ai toujours trouvé ça simple. Dans le fond, avec des titres comme Martine à la campagne, Martine à la plage, Astérix chez les Helvètes, Tintin au pays de l’or noir, tu sais à quoi t’attendre.»
Simple, mais captivant, et allant à l’essentiel, comme Michel Rabagliati.
Paul à la campagne
Éd. de la Pastèque, 1999, 48 p.