Sylvie Dion : L’Ultime Bonheur
Avec sensibilité et une écriture très travaillée (parfois trop), ce premier roman de Sylvie Dion dépeint le cheminement intérieur et amoureux d’une femme, en courts chapitres qui semblent autant de petites métamorphoses, de passages.
C’est une toute petite plaquette, à peine une centaine de pages, mais les mots y pèsent de tout leur poids. Le genre qu’il faut savourer lentement, mot à mot, pour se pénétrer de leur sens. Le thème du temps traverse justement ce premier roman de Sylvie Dion, une enseignante de littérature. «Il n’y a qu’avec les mots, cette matière ni vivante ni morte, que j’immobiliserai le temps tout en le remettant en circulation, la circulation du temps présent dans ma vie», écrit-elle.
Un peu difficile à pénétrer car sis à l’orée du poétique, cultivant une sorte de doute ou d’imprécision narrative, d’une structure temporelle complexe, L’Ultime Bonheur est aussi ardu à résumer. Avec sensibilité et une écriture très travaillée (parfois trop), le roman dépeint le cheminement intérieur et amoureux d’une femme, en courts chapitres qui semblent autant de petites métamorphoses, de passages. Comme celui où, ironie du sort, au soir du second référendum, la narratrice se décide à devenir Une autre femme, à quitter l’Ouest doré de la ville pour retrouver ses racines dans l’Est, où elle s’introduit dans l’univers d’une «gargote» rue Ontario.
En gros, il y est question de l’écriture, de la mort, de l’amour, de la fusion des corps, du désir qui se confond avec la spiritualité, tous deux tentatives de combler le manque, le vide: «la place de Dieu gît (…) dans la souplesse de l’accouplement», écrit-elle.
On relèvera, notamment, quelques belles pages bien senties sur le mois des morts, et son heure creuse («en novembre l’alcool est plein d’espérance»). Et, surtout, des réflexions étonnantes de justesse sur les étapes de la féminité: comment, adolescente, on mime les premiers jeux de l’amour avec «sa jumelle de collège» et que celle-ci inscrit dans notre corps les marques indélébiles des gestes d’amour à venir; comment les mères habillent leurs filles pour vivre leurs manques et leurs désirs par procuration: «Je suis son corps. Je ne m’appartiens pas, pas encore.»
Dommage, toutefois, que certains passages abscons entravent d’une écriture plus ampoulée la beauté de l’ensemble, où se révèlent parfois de petits morceaux de grâce. Témoin cet hommage de la narratrice à l’amant qui a su s’endormir sur elle pendant l’acte d’amour: «je suis devenue un livre qui vous tombait des mains. M’offrir cela, cette vérité qui osait tirer sur la nappe pendant que la table se dresse de victuailles, m’offrir, le sexe désoufflé, votre sommeil et sa fragilité (…). L’amour, c’est du laisser tomber.»
Si elle n’est pas sans faille, l’oeuvre de Sylvie Dion constitue un incontestable bonheur de lecture. À découvrir. Lanctôt Éd., 1999, 111 p.