Carlos Fuentes : La Frontière de verre
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Carlos Fuentes : La Frontière de verre

Aujourd’hui âgé de 71 ans, le grand écrivain mexicain Carlos Fuentes continue toujours d’étonner. Dans La Frontière de verre, «roman en neuf récits», il décrit la vie de ses compatriotes, d’un côté et de l’autre du Río Grande, ou Río Bravo, ce long fleuve qui sépare le Mexique des États-Unis.

Aujourd’hui âgé de 71 ans, le grand écrivain mexicain Carlos Fuentes, auteur d’une trentaine de livres, recueils de nouvelles et romans (dont quelques-uns à paraître), de pièces de théâtre et d’essais, continue toujours d’étonner. Celui qui fut ambassadeur de son pays à Paris au milieu des années soixante-dix, et a vécu dans quelques grandes capitales, a le verbe haut et beaucoup à dire. Dans La Frontière de verre, «roman en neuf récits» qui se déploient sur différents tons, il décrit la vie de ses compatriotes, d’un côté et de l’autre du Río Grande, ou Río Bravo, ce long fleuve qui sépare le Mexique des États-Unis.

Ce fleuve, frontière naturelle entre les deux pays, a pris depuis longtemps une dimension symbolique. À partir de quelques personnages venus des coins les plus pauvres du Mexique dans l’espoir de trouver du travail dans cette région frontalière où se jouent maints trafics, le romancier fait un portrait percutant des relations mexicano-américaines. Relations inégalitaires, on s’en doute, où ce sont toujours les mêmes qui finissent

par payer un lourd tribut en échange de quelque mirage.

Qu’il s’agisse de l’homme d’affaires mexicain qui «exporte» des ouvriers à New York à la plus grande satisfaction des employeurs américains; des jeunes femmes qui doivent traverser chaque jour la frontière pour aller à l’usine ou pour retrouver un amant américain; du vieux militant communiste abandonné par les siens, tous partis chercher le succès aux États; ou encore de ceux qu’on appelle les «dos mouillés» (les wetbacks) qui risquent leur vie, et souvent la perdent, en essayant de traverser le fleuve à la nage: chacun finit par y laisser quelque chose, sa vie ou une part de son âme.

«Il n’y avait aucune, absolument aucune fabrique à la frontière en 1965 sous Díaz Ordaz, il y en avait dix mille en 1972 sous Echeverría, trente-cinq mille en 1982 sous López Portillo, cent vingt mille en 1988 sous de la Madrid, cent trente-cinq mille en 1994 avec Salinas, générant deux cent mille emplois dérivés», écrit Carlos Fuentes, qui fait sienne la thèse de ses personnages, à savoir que les Américains ont besoin des Mexicains, ils ont besoin de cette main-d’oeuvre à bon marché.

Qui plus est, ce Sud des États-Unis où l’on ne les laisse entrer que sous conditions, sous contrôle policier, fut jadis enlevé au Mexique par la force des armes; pourquoi les Mexicains n’y ont-ils pas accès naturellement? Parce qu’on a besoin de leur force de travail, pas de leur présence de citoyens.

Explorant diverses formes narratives au fil de ces récits, qui se lisent comme des nouvelles qui seraient reliées par un thème, un personnage, un lieu, Carlos Fuentes en profite au passage pour rendre hommage à la culture et à la cuisine mexicaines, au courage et à la générosité de son peuple qui a plus que son lot de souffrances et de drames. «Ça sent la coriandre! Allons vers la frontière, allons au Mexique, allons, mon frère, rentre nu comme tu es né, reviens dénudé du pays qui possède tout au pays qui ne possède rien!» Traduit de l’espagnol (Mexique) par Céline Zins, Éd. Gallimard, 1999, 296 p.