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André Marois : Accidents de parcours

Voici le premier roman d’ANDRÉ MAROIS, Accidents de parcours. Un polar bien ficelé, où rêves et cauchemars font très bon ménage…

Des vacances de rêve qui tournent au cauchemar, on a déjà vu ça. Mais dans Accidents de parcours, le premier roman d’André Marois, auteur de nouvelles (dont Van Gogh a encore frappé, qui remportait notre concours de nouvelles en 1993), qui paraissait tout juste avant les Fêtes, le cauchemar est hautement sophistiqué.

Deux couples échangent leurs maisons: Josée et Pierre prêtent leur appartement du Plateau-Mont-Royal à Matthias et Corinne, qui habitent Ploërdou, en Bretagne. Un cinquième personnage, un «voisin voyeur», observe les allées et venues des Montréalais dans la maison de Bretagne. «Ils sont arrivés vers 20 h 08, dans une Opel Corsa rouge. (…) Donc les Canadiens sont là. La femme avait l’air fatiguée. C’est une belle fille dans la trentaine avancée, blonde, mais pas trop. Un joli corps qui sent la gymnastique hebdomadaire, un gentil minois, des yeux qui pétillent.» La femme et son «grand échalas pas très épais et dégarni» s’installent dans une maison apparemment banale.

Mais, peu à peu, les deux hommes, à des kilomètres de distance, se mettent à changer: Matthias et Pierre adoptent un nouveau langage (celui de la terre d’accueil), modifient leurs habitudes, et pire, leur tempérament. «On dirait qu’il ne me supporte plus, comme s’il avait une maîtresse. Il voudrait divorcer qu’il ne s’y prendrait pas autrement. C’est un jeu double: l’homme que j’ai toujours connu devient torve, insaisissable.»

Josée et Corinne réaliseront aussi, avec amusement, puis avec effroi, que les bibliothèques de leurs hôtes sont en tout point pareilles aux leurs. Mêmes livres, mêmes éditions, tout, quoi… «Quelqu’un ici, l’homme ou la femme, cultivait des passions littéraires identiques aux miennes: des polars français et américains, des romans aux éditions de Minuit, la collection complète de Boris Vian, plus tous ces ouvrages uniques, sélectionnés avec lenteur après des dizaines d’heures à parcourir des librairies de Montréal. Ma mâchoire s’est décrochée.»

Le roman est raconté par quatre voix, et à travers le regard de cinq personnages: les deux couples et le voisin breton qui passe son temps à reluquer chez ses voisins, coincé derrière son bosquet ou sa fenêtre. «Je n’avais jamais suivi d’aussi près une scène de ménage. D’ordinaire, je me pointe en cours de dispute, attiré par les cris. (…) Décidément, ces deux zigotos ne me déçoivent pas. C’est mieux qu’à la télé. Il manque le son, mais j’avais l’impression de percevoir la gifle, tellement elle était violente. Pauvre Josée!»

Accidents de parcours développe peu à peu un suspense déroutant, où chaque événement éclaircit un mystère, mais en crée un autre… À l’image d’un jeu d’échecs, chacun des personnages et des lieux constitue le passage obligé pour que l’action culmine en un drame qui ne tournera pas du tout comme on s’y attendait.

Pas de doute, André Marois a le sens du récit, et parvient à mener son polar jusqu’au bout. Dommage que le style ne soit pas aussi soigné que la mécanique narrative. De simple, l’écriture devient parfois simplette, sans beaucoup de profondeur ni de sensibilité. Marois semble avoir pas mal de succès avec ses nouvelles (il a gagné plusieurs prix), lui qui sait construire une histoire et donner du rythme à un récit. Le pari de l’écrivain est désormais celui de la forme: il sera gagné quand on aura autant de plaisir à découvrir son imaginaire que son imagination.

Éd. La Courte échelle
Collection roman 16/96
1999, 160 p.