Lise Demers : Gueusaille
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Lise Demers : Gueusaille

Qu’arrive-t-il quand on perd son emploi, ses proches, sa santé, sa maison? C’est cette dérive que raconte Lise Demers dans Gueusaille, son troisième roman, une critique sociale pourtant empreinte de poésie et, surtout, de beaucoup  d’humanité.

Qu’arrive-t-il quand on perd son emploi, ses proches, sa santé, sa maison? C’est cette dérive que raconte Lise Demers dans Gueusaille, son troisième roman, une critique sociale pourtant empreinte de poésie et, surtout, de beaucoup d’humanité.

Denise est une femme de quarante-cinq ans, solitaire, que la vie met à rude épreuve. «Elle avait progressivement cessé de voir ses amies, par manque d’argent pour les suivre dans leurs activités, par ultime souci de se protéger. Elle lisait dans leur regard une incompréhension gênante et n’était pas loin de croire, comme l’insinuaient leurs esquives, qu’elle était fautive. Avait-elle été si compétente, elle aurait facilement trouvé du travail (…). Elle avait sabré son curriculum vitae pour ne pas effrayer d’éventuels employeurs, avait accepté des remplacements temporaires, espérant des jours meilleurs de moins en moins probables.»

Son destin croisera celui d’Olga, vieille femme heurtée par la guerre, émigrée de Russie, vaillante, et rompue aux pratiques de la débrouille. «Olga riait, tâtait un sac, lui apprenait les rudiments du travail. À développer son ouïe et son toucher. À identifier les bruits sourds et mats, les textures molles glissantes et molles collantes. À distinguer les vêtements et les textiles des épluchures ou des restes de table. Elle avait un instinct époustouflant.»

Chacune possède encore un toit, mais vacille au seuil d’une existence itinérante, à laquelle elles échappent encore parce qu’elles tiennent bon. Leur «travail» les met à l’abri du désoeuvrement; leurs amitiés avec Hadrien et Anna, restaurateurs généreux, avec le Philosophe, et surtout avec François, qui vit dans sa voiture – sa seule possession-, les réchauffent; leurs souvenirs les torturent.

Difficile de raconter ce genre d’histoire sans pathos, mais Lise Demers y est arrivée. Depuis La Leçon de botanique, où déjà perçait un sens du récit, la romancière raffine son écriture: moins de sensiblerie, plus de profondeur, de dépouillement, de sensibilité. Les portraits qu’elle peint sont crédibles, réalistes, et portent en eux comme un mystère qui pique la curiosité, et constitue la trame du roman: Que fuient ces femmes? Que cachent-elles? Des secrets lourds comme leurs vêtements et leurs sacs qu’elles traînent partout.

Demers aborde des thèmes très actuels: le chômage, la pauvreté, la misère sociale et psychologique. Avec un tact certain, l’auteure parvient également à démontrer que n’importe qui peut se retrouver de l’autre côté du miroir. Éd. Lanctôt, 1999, 219 p.